Et si les devoirs maison ne servaient plus à rien ? Face à l’irruption des IA dans les copies, les écoles réinventent les règles du jeu.
À Brest, le traditionnel mémoire disparaît dans un master de l’université. À sa place, un grand oral d’une heure. « Le mémoire est mort, vive le mémoire ? », ironise Vincent Salaun, maître de conférences à l’IAE. Le changement est radical : plus de cent pages rédigées à la maison, mais un entretien sur un thème libre. Les étudiants y analysent leurs compétences acquises pendant la formation. Une réponse concrète à l’irruption massive des intelligences artificielles dans les travaux écrits.
En 2024, plus de 80 % des jeunes utilisent une IA pour leurs études. Un chiffre en hausse fulgurante comparé aux 55 % de 2023. La peur initiale des enseignants a laissé place à une interrogation plus profonde : comment vivre avec ces outils ? ChatGPT, Copilot ou Gemini se sont invités dans les devoirs, les résumés et même les codes informatiques. Cyprien Plane, président du Bureau des élèves ingénieurs, résume : « L’IA est plus forte que la plus sophistiquée des antisèches ».
Les outils comme Compilatio tentent d’identifier les textes générés par IA. Mais ils peinent à différencier l’usage légitime de la triche. La Conférence des grandes écoles confirme : les détecteurs ne peuvent pas tout voir. Des faux positifs apparaissent quand un étudiant reformule avec une IA. Et certains savent déjà contourner les filtres. « Un bon prompt suffit à duper l’algorithme », observe Alain Goudey, cadre à Neoma Business School.
Réinventer les examens plutôt que les interdire
Face à cette réalité, certains établissements jouent la carte de l’adaptation. À Neoma, 90 % des enseignants ont été formés aux IA. Les étudiants peuvent les utiliser librement, à condition de le signaler. En échange, on leur demande plus d’analyse et plus de profondeur. L’évaluation passe aussi par des oraux renforcés. « Un échange formalisé reste le meilleur moyen de vérifier la maîtrise d’un sujet », rappelle Loïc Plé, responsable pédagogique à l’Iéseg.
Les écoles misent aussi sur l’imprévu. En complexifiant les consignes ou en les simplifiant à l’extrême, l’IA perd ses repères. Des devoirs sur table réapparaissent, les feedbacks sont plus nombreux. « Toutes nos évaluations ne sont pas IA-proof. Mais c’est volontaire », affirme Loïc Plé. Les écoles veulent évaluer l’usage des IA, pas l’interdire. Les entreprises exigent cette maîtrise. « Il faut encadrer, pas bannir », insiste Cyprien Plane.
Des enseignants intègrent désormais l’IA dans leurs examens. Certains laissent son usage libre, mais exigent la publication des prompts. D’autres demandent d’évaluer les productions générées. « L’objectif est de développer l’esprit critique », souligne Pierre Beust, de l’université de Rennes. Jacques Fayolle, directeur des Mines de Saint-Étienne, ajoute : « Les examens de demain seront fondés sur la résolution de problèmes, pas sur la mémorisation ».
Former les enseignants pour éviter la fracture
Mais pour transformer l’école, il faut aussi former les formateurs. « Il y a les pionniers, les sceptiques… et ceux qu’il faut convaincre », explique Jacques Fayolle. Les universités multiplient les formations à l’IA. Car l’outil peut également servir les enseignants : rédaction de cours, création de sujets, analyse fine des progrès étudiants. « L’IA est aussi un accélérateur pour nous », conclut Frédéric Pascal, de CentraleSupélec.
Les IA n’ont pas tué les examens, elles les transforment. Et si l’enjeu n’était plus d’interdire, mais de mieux évaluer ?
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