L’IA a franchi les portes d’une centrale nucléaire et ce n’est plus de la science-fiction. À Diablo Canyon, une IA explore désormais des millions de documents techniques au cœur d’un site aussi stratégique que sensible.
Diablo Canyon, la dernière centrale nucléaire active de Californie, n’avait pourtant rien d’un terrain d’innovation. Programmée pour fermer ses portes en 2029, la centrale semblait glisser lentement vers la retraite. Pourtant, en 2024, tout change. Huit puces NVIDIA H100, parmi les plus puissantes du marché, sont installées dans ses murs. Objectif : alimenter Neutron Enterprise, une IA conçue pour faciliter la navigation dans les millions de pages réglementaires du secteur nucléaire.
Ce partenariat inédit entre PG&E et la start-up Atomic Canyon marque un tournant pour l’énergie nucléaire américaine. Pour la première fois, une IA générative est intégrée sur site dans une centrale nucléaire. Son rôle reste strictement documentaire. Mais pour certains observateurs, cette expérimentation ouvre une brèche. L’idée même d’utiliser l’IA dans un site aussi stratégique suscite autant d’intérêt que de prudence.
Un outil conçu pour réduire la charge humaine
Maureen Zawalick, vice-présidente chez PG&E, décrit Neutron Enterprise comme un copilote, pas un décideur. L’objectif ? Économiser du temps. Chaque année, les employés de Diablo passent environ 15 000 heures à chercher dans leurs bases de données. Grâce à cette IA, le temps consacré à ces recherches pourrait être divisé par dix, voire plus.
Le système utilise des techniques comme la reconnaissance optique de caractères et la génération augmentée de données. Il indexe, synthétise et résume de vastes documents sans modifier leur contenu d’origine. L’idée n’est pas de remplacer le jugement humain, mais d’accélérer les tâches répétitives. PG&E prévoit une adoption élargie à partir du troisième trimestre 2025.
Des garde-fous… mais pas encore de normes
Trey Lauderdale, PDG d’Atomic Canyon, se veut rassurant. Il affirme que Neutron Enterprise n’a aucun rôle décisionnel, ni accès aux commandes de la centrale. L’outil fonctionne sans cloud. Les données sensibles restent donc confinées à Diablo Canyon. Cependant, l’introduction d’une IA dans le secteur nucléaire alerte les experts et les législateurs.
La députée Dawn Addis, notamment, pose des questions sur la sécurité, la transparence et l’impact sur l’emploi. D’autres élus, comme le sénateur Henry Stern, s’inquiètent du manque de cadre réglementaire clair. Tous s’accordent : l’outil actuel semble utile, mais une montée en puissance de l’IA exigerait des lois strictes.

Le nucléaire, un terrain d’expérimentation sous tension
Atomic Canyon a déjà entamé des discussions avec d’autres sites nucléaires. L’entreprise ne cache pas ses ambitions : devenir un acteur incontournable de l’intégration IA dans le nucléaire. Mais la prudence reste de mise. Le Comité indépendant de sécurité de Diablo Canyon a suivi les déploiements récents de l’outil. Résultat ? Aucune alerte de sécurité à ce jour.
Cela dit, plusieurs voix appellent à une standardisation des pratiques. Un rapport de 2024 a identifié près de 100 « lacunes » dans la réglementation IA du secteur. Et à ce jour, aucune norme pratique n’a été adoptée pour encadrer ces nouveaux usages. Le risque est donc bien réel : que les technologies progressent plus vite que les lois qui les régissent.
Une technologie née d’un hasard… et d’un pari local
L’histoire de ce projet commence presque par accident. En 2021, Trey Lauderdale s’installe à San Luis Obispo sans savoir que la centrale nucléaire se trouve à proximité. C’est en rencontrant des employés de Diablo Canyon qu’il découvre la complexité réglementaire du secteur. Il décide alors de créer Atomic Canyon pour aider à naviguer dans les millions de pages de rapports techniques.
En moins d’un an, sa société télécharge les 53 millions de documents de la base ADAMS de la NRC. Grâce au supercalculateur Frontier du laboratoire d’Oak Ridge, il développe un modèle de langage spécialisé dans le jargon nucléaire. Moins sujet aux « hallucinations », il alimente aujourd’hui l’IA utilisée à Diablo Canyon.
Une avancée… sous haute surveillance
Si le premier déploiement de Neutron Enterprise est salué pour son efficacité, il reste sous étroite surveillance. Plusieurs élus californiens, bien qu’ouverts à l’innovation, rappellent que l’IA dans le nucléaire ne doit jamais rimer avec automatisation incontrôlée. Même la direction d’Atomic Canyon le reconnaît : « nous n’aurons pas d’IA à la tête des centrales avant très longtemps ».
Le secteur reste donc en alerte. Entre innovation technologique et risque systémique, l’IA devra encore prouver qu’elle peut jouer un rôle utile sans franchir les lignes rouges. Une certitude émerge : le nucléaire entre dans l’ère de l’IA. Mais il y entre à pas comptés.
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