Fruit de la rencontre entre informatique quantique et intelligence artificielle, l’IA quantique promet de surmonter les limites des IA classiques en exploitant la puissance des qubits.
L’IA quantique, c’est quoi ?
Pour comprendre l’IA quantique, il faut d’abord se représenter le fonctionnement d’un ordinateur classique. Votre smartphone ou votre ordinateur portable traite les informations à l’aide de bits, qui peuvent être des 0 ou des 1 – comme des interrupteurs qui s’allument ou s’éteignent. Ces 0 et ces 1 sont utilisés pour effectuer toutes les opérations une par une.

L’informatique quantique, elle, utilise des « qubits » au lieu des bits classiques. Et voilà où la magie opère : un qubit peut être à la fois 0 et 1, grâce à un phénomène appelé « superposition« . C’est comme si, au lieu d’avoir un interrupteur soit allumé soit éteint, vous pouviez l’avoir dans les deux états simultanément !
Mais quel est l’intérêt pour l’intelligence artificielle ? L’IA classique excelle déjà dans de nombreux domaines, de la reconnaissance d’images à la traduction automatique. Cependant, elle atteint ses limites face à certains problèmes très complexes. Par exemple, simuler précisément le comportement des molécules pour découvrir de nouveaux médicaments dépasse les capacités actuelles des meilleures IA.
C’est là que l’informatique quantique entre en jeu. Grâce à la superposition et à un autre phénomène quantique appelé « intrication » (qui lie des qubits entre eux), cette technologie peut traiter en parallèle un nombre astronomique de configurations.
Pour l’IA, cette puissance de calcul ouvre de nouveaux horizons : analyser des ensembles de données colossaux en temps réel, déceler des corrélations subtiles et des structures cachées dans la complexité du monde, et surmonter des défis de modélisation d’une complexité extrême qui échappaient jusqu’à présent à nos capacités de calcul les plus avancées. En somme, la technologie quantique apporte à l’IA une capacité d’exploration et d’analyse inédite.
L’IA quantique n’est donc pas nécessairement un nouveau type d’IA doté d’une architecture radicalement différente de ce qu’on connait. C’est une évolution incrémentale, mais qui peut toutefois ouvrir la voie à de nouvelles applications inédites, notamment en matière de simulation et de modélisation.
Comment les ordinateurs quantiques améliorent déjà nos IA
L’amélioration des modèles d’IA classique, notamment les LLM, est ainsi l’objectif prioritaire du quantum AI. Mais comment les ordinateurs quantiques améliorent-ils concrètement nos IA ?
Imaginez devoir régler une table de mixage géante avec des milliards de boutons pour obtenir un son parfait. C’est un peu le défi auquel font face les chercheurs lorsqu’ils entraînent des modèles d’IA. Ces systèmes doivent assimiler d’énormes quantités de données et ajuster des milliards de paramètres internes pour fonctionner de manière optimale.
En utilisant Origin Wukong, un puissant ordinateur quantique, une équipe de chercheurs chinois est récemment parvenue à simplifier de manière drastique un modèle d’IA comportant initialement un milliard de paramètres.
Près de 75 % des paramètres ont été supprimés, ce qui a considérablement réduit la complexité du modèle. Malgré cette énorme simplification, ses performances ont augmenté de façon spectaculaire. En mathématiques notamment, ses résultats sont passés de 68 % à 82 %, soit un bond de 14 points.
Cette réalisation montre le potentiel exceptionnel de l’informatique quantique pour redéfinir les performances de nos modèles actuels d’IA. Elle ouvre la voie à des systèmes plus légers, rapides et précis. À terme, elle pourrait nous permettre d’avoir des IA extrêmement performantes qui fonctionnent sur des ordinateurs conventionnels de faible puissance.
En somme, cette avancée chinoise démontre que le quantum AI n’est plus cantonnée aux travaux théoriques de quelques chercheurs, mais commence à produire des résultats concrets. La combinaison des algorithmes d’IA classique et de la puissance de calcul quantique ouvre de nouvelles perspectives. Bien qu’encore balbutiante, l’ère de l’IA quantique semble donc bel et bien amorcée.
Dans les coulisses techniques du quantum AI
Si l’ère du quantum AI semble aujourd’hui avoir commencé, c’est grâce à la mise au point de ses briques de base : les qubits. Mais comment ces fameux qubits sont-ils fabriqués ?
Plusieurs technologies existent à ce jour. La plus répandue utilise des circuits supraconducteurs refroidis à des températures extrêmement basses, proches du zéro absolu (-273°C). Dans ces conditions, les électrons peuvent circuler sans résistance et conserver leurs propriétés quantiques.
D’autres approches utilisent des ions piégés, des photons (particules de lumière) ou des atomes neutres. Chaque méthode présente ses propres avantages et défis.
Pour les développeurs et les chercheurs qui souhaitent explorer l’IA quantique sans posséder leur propre ordinateur quantique (qui coûte plusieurs millions d’euros), il existe plusieurs plateformes accessibles via l’internet.
IBM Quantum Platform permet ainsi d’utiliser de véritables ordinateurs quantiques à distance. Microsoft Azure Quantum Elements est une autre solution qui associe la puissance de calcul traditionnelle et quantique dans la résolution de problèmes scientifiques complexes.
Les pionniers de l’informatique quantique
Plusieurs grands acteurs technologiques investissent massivement dans l’informatique et l’IA quantique, conscients de leur potentiel de transformation. Google a marqué un tournant en 2019 avec sa machine Sycamore, qui a effectué en quelques minutes un calcul spécifique qui aurait pris des milliers d’années sur le supercalculateur classique le plus puissant. Cette démonstration, bien que limitée à un problème très spécifique, a prouvé que la « suprématie quantique » était possible.
IBM poursuit également une stratégie ambitieuse avec ses processeurs quantiques de plus en plus puissants. De « Eagle » avec ses 127 qubits à « Condor » avec ses 1121 qubits, l’entreprise repousse sans cesse les limites du nombre de qubits fonctionnels. En parallèle, la société met à disposition des chercheurs et développeurs Qiskit. Il s’agit d’un kit de développement open-source qui leur permet d’explorer l’informatique quantique.
L’Europe n’est pas en reste dans cette course technologique. L’entreprise française Pasqal se distingue avec sa technologie d’ordinateurs quantiques à atomes neutres, qui offre une approche différente et prometteuse. Récemment, Pasqal a annoncé un partenariat avec Nvidia pour combiner l’expertise quantique française avec la puissance des processeurs graphiques américains, spécialement conçus pour l’IA.
Ces dernières années, les avancées se sont accélérées sur plusieurs fronts : augmentation du nombre de qubits, réduction des erreurs de calcul, amélioration des temps de cohérence (durée pendant laquelle un qubit conserve ses propriétés quantiques).
Les obstacles sur la route de l’IA quantique
Malgré ces avancées, l’IA quantique fait face à d’importants défis. Le plus fondamental concerne la fragilité des qubits. Imaginez essayer de faire tenir en équilibre des milliers de toupies en même temps : à la moindre perturbation, elles chutent. Les qubits sont très sensibles, par exemple, aux vibrations, aux champs électromagnétiques et aux variations de température.
Les contraintes matérielles posent également d’importants défis. Les systèmes à qubits supraconducteurs nécessitent des températures proches du zéro absolu. Cela implique des installations coûteuses et complexes. De plus, transférer des données depuis ou vers un ordinateur quantique reste relativement lent.

Au-delà des obstacles techniques, l’adoption de l’IA quantique se heurte au manque de spécialistes formés. Maîtriser ce domaine requiert des compétences en physique quantique, en informatique et en intelligence artificielle – une combinaison rare. Les entreprises qui investissent aujourd’hui dans la formation de leurs équipes auront un avantage décisif lorsque la technologie atteindra sa maturité, probablement dans une dizaine d’années selon les experts.
L’avenir du quantum AI
Les prochaines années verront certainement une évolution progressive de l’IA quantique. Les spécialistes estiment toutefois qu’il faudra encore au moins 15 ans pour développer des ordinateurs quantiques pleinement tolérants aux pannes. Et capables de réaliser des calculs complexes sans être perturbés par les erreurs.
En attendant, l’approche hybride, combinant calcul classique et quantique, continuera de progresser. Ces systèmes mixtes devraient déjà permettre déjà des avancées significatives dans des domaines comme la recherche pharmaceutique, la science des matériaux ou l’optimisation énergétique.
L’essor de l’IA quantique soulève également d’importantes questions éthiques et sociétales. Par exemple, des ordinateurs quantiques suffisamment puissants pourraient un jour briser les systèmes de cryptage qui protègent actuellement nos communications et nos transactions en ligne. C’est pourquoi les chercheurs développent déjà une « cryptographie post-quantique » capable de résister aux futures attaques quantiques.
Une autre préoccupation concerne l’équité d’accès à ces technologies. Si l’IA quantique reste l’apanage de quelques grandes entreprises ou nations, ne risque-t-on pas de créer une nouvelle fracture numérique ? Des initiatives comme la mise à disposition d’ordinateurs quantiques via le cloud ou le développement de formations accessibles seront essentielles pour démocratiser ces avancées. Et s’assurer que leurs bénéfices profitent au plus grand nombre.
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