Dans le cadre de notre dossier « Tech Innovators: À la découverte des esprits visionnaires de l’informatique », Laurence MOLETTA a accepté de faire un point sur les grands enjeux du secteur de l’IT.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis artiste, chanteuse, réalisatrice audio et directrice artistique, spécialisée dans la création et le développement de dispositifs interactifs et de lutheries numériques. Mon parcours allie art et technologie, avec un focus sur la captation du geste pour des performances musicales innovantes. J’ai dirigé des projets combinant prototypage de gants capteurs de mouvements, composition musicale, improvisation vocale et création de spectacles numériques, tels que Le Couloir des pas perdus et Noza Orus. Mon travail a évolué en collaboration avec des experts en design interactif, électronique, vidéo et couture, et a été présenté dans des résidences, festivals et tournées internationales. Actuellement, je travaille à l’écriture d’une œuvre immersive en réalité virtuelle, où la voix joue un rôle central dans l’interactivité de l’expérience, explorant de nouvelles façons de relier l’expression vocale à un environnement immersif numérique. Parallèlement, je mène des projets de médiation culturelle et artistique dans des territoires ruraux, en y intégrant une dimension numérique afin de favoriser l’accès à la culture et la créativité pour tous.
Quelles sont les dernières tendances et innovations dans le domaine de l’IT qui ont retenu votre attention récemment ?
Les combinaisons de Motion capturent car cela reste dans le domaine de la captation du geste. Je suis particulièrement sensible à l’utilisation de la réalité augmentée via des casques de réalité augmentée dans le spectacle vivant. Cette technologie offre des possibilités fascinantes pour immerger le spectateur dans un univers parallèle, où l’imaginaire se mêle au réel de manière fluide et interactive. Lorsqu’elle est bien intégrée, la réalité augmentée enrichit la narration, permet de nouvelles formes d’expression artistique et ouvre des horizons inédits dans la création de spectacles immersifs.
Quels sont les domaines où l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage automatique (Machine Learning) ont le plus d’impact aujourd’hui selon vous ?
La recherche multimodale révolutionne la manière de croiser données textuelles, visuelles et auditives. En biologie cellulaire, l’IA accélère les découvertes en simulant des processus complexes. Dans le domaine linguistique, elle améliore la traduction, la génération de contenu et l’analyse sémantique.
Comment la transformation numérique a-t-elle évolué et quelles sont les principales stratégies et défis auxquels les entreprises sont confrontées lorsqu’elles se lancent dans ce processus ?
La transformation numérique progresse à un rythme plus rapide que l’évolution des mentalités, créant ainsi une fracture sociale entre ceux qui maîtrisent ces outils et en saisissent les bénéfices, et ceux qui les redoutent. Le principal défi consiste à accompagner l’ensemble de la population dans l’adoption des nouvelles technologies, en mettant en place des actions de médiation adaptées et en créant des étapes pédagogiques pour faciliter la compréhension du numérique. L’intervention de médiateurs est essentielle dans ce processus. Je m’appuie sur mon expérience, notamment à travers des projets mêlant narration participative dans des territoires ruraux à l’exploitation des données, avec une restitution artistique publique utilisant des outils numériques simples, comme les téléphones portables.
Quelles sont les compétences et les connaissances clés que les professionnels de l’IT doivent acquérir pour rester pertinents dans ce paysage technologique en constante évolution ?
Pour rester pertinents dans un paysage technologique en constante évolution, les professionnels de l’IT doivent développer une compréhension approfondie des différents métiers liés aux innovations numériques. Cela leur permet d’identifier précisément les experts nécessaires au développement d’un outil numérique. Ils doivent maîtriser les fondamentaux de domaines clés tels que la programmation, le design, les tests utilisateurs, la création de prototypes, l’idéation, le développement, la diffusion et le marketing. Il est également essentiel de comprendre le déroulement de chaque étape du processus et de savoir quelles compétences ou profils sont requis pour valider chacune d’entre elles.
Quelles sont les meilleures pratiques pour favoriser une culture d’innovation au sein des organisations et encourager la collaboration entre les équipes techniques et métiers ?
Valoriser les idées et la prise d’initiative, donner les moyens et le temps pour permettre à la personne de réfléchir et de pitcher son idée devant un publique réceptif et bienveillant, au sein de l’entreprise. Donner des outils simples de méthodologie pour encourager la création. Offrir des temps d’idéation régulier pour faire jaillir les idées, les connexions. Encourager les individus à partager leur passion, explorer les manque de chacun encourager le partage de savoir, repérer les modes de fonctionnement intellectuelle et les sensibilités de chacun
Comment les gouvernements et les organismes réglementaires peuvent-ils soutenir l’innovation dans le domaine de l’IT et créer un environnement propice à l’adoption de nouvelles technologies ?
Formation et éducation : Il est essentiel d’investir dans la formation continue et l’éducation numérique à tous les niveaux. Les gouvernements peuvent mettre en place des programmes de formation adaptés aux besoins du marché et des entreprises, avec des cursus en informatique, IA, et autres technologies avancées. De plus, des initiatives de sensibilisation pour les citoyens, y compris dans les zones rurales ou défavorisées, permettent une adoption plus large des nouvelles technologies. Pour favoriser une culture d’innovation et renforcer la collaboration entre les équipes techniques et métiers, il est essentiel de valoriser les idées et les initiatives individuelles. Offrir aux collaborateurs les moyens et le temps nécessaires pour mûrir leurs réflexions et présenter leurs propositions devant un public réceptif et bienveillant au sein de l’entreprise est crucial. Mettre à disposition des outils méthodologiques simples peut également stimuler la créativité. Organiser régulièrement des sessions d’idéation favorise l’émergence d’idées nouvelles et de connexions entre individus. Encourager les collaborateurs à partager leurs passions, promouvoir le partage de connaissances, et reconnaître les modes de pensée et sensibilités uniques de chaque membre de l’équipe sont autant de pratiques clés pour créer un environnement propice à l’innovation.
Quels sont les défis éthiques et les questions de responsabilité liée à l’adoption de technologies émergentes et comment les aborder de manière responsable ?
Les défis éthiques liés aux technologies émergentes surviennent souvent lorsque l’innovation progresse plus rapidement que l’évolution des mœurs ou la compréhension des utilisateurs. Pour les aborder de manière responsable, il est crucial de sortir de la sphère restreinte des experts et d’impliquer le grand public. Cela passe par des actions de médiation, des campagnes d’apprentissage accessibles, et une sensibilisation avant le lancement de toute nouvelle technologie. Une innovation responsable est celle qui naît d’un besoin concret, clairement identifié, et qui fait l’objet d’une évaluation approfondie de son impact à tous les niveaux de la société : social, économique, environnemental et éthique. Si des problèmes éthiques émergent, c’est souvent le signe d’un décalage entre les évolutions technologiques et les attentes sociétales. Il ne s’agit pas simplement de pointer la lenteur des mœurs ou la rapidité de l’innovation, mais de créer des espaces de dialogue et de réflexion pour synchroniser ces deux dynamiques.
Comment les femmes dans le domaine de l’innovation et des technologies font-elles face aux défis de reconnaissance et de légitimité, notamment lorsqu’elles travaillent sur des projets jugés ‘techniques’ ou ‘novateurs’ ?
Dans le domaine des technologies et de l’innovation, les femmes sont souvent confrontées à un manque de reconnaissance, particulièrement lorsqu’elles abordent des projets jugés « techniques » ou « innovants ». Lors du développement de mes gants capteurs de mouvement, un dispositif de lutherie numérique conçu pour contrôler mon ordinateur à distance et développer une pratique vocale improvisée, j’ai été confrontée à un certain mépris de la part de certains hommes vis-à-vis de mon travail. J’ai choisi de travailler en mode DIY, prenant des risques et testant mes prototypes en conditions réelles, sur scène, avec la constante appréhension qu’un élément technique puisse échouer, qu’un fil se détache ou qu’un dysfonctionnement survienne. J’ai persévéré seule, poursuivant mon objectif de créer non seulement un instrument, mais aussi un langage. Dix ans de travail ont été nécessaires pour faire avancer ce projet. Un jour, lors d’un Dansathon, je rencontre une autre personne ayant eu l’idée de développer des gants en lien avec sa pratique vocale. Dans un esprit de curiosité, j’ai échangé avec lui. Il avait l’opportunité de présenter son travail, et en demandant à l’organisateur si je pouvais aussi partager mon expérience avec mes gants, celui-ci m’a répondu que cet homme était « le référent » dans ce domaine et qu’il travaillait dessus depuis longtemps. J’ai rétorqué que moi aussi j’avais développé ce projet pendant dix ans et que j’avais même obtenu une subvention du ministère de la Culture pour financer mon travail. Je me suis alors sentie totalement ignorée et dévalorisée. L’organisateur venait de balayer d’un coup tout le travail que j’avais accompli. J’ai ressenti une profonde frustration de ne pas avoir été considérée, d’autant plus qu’il n’y aurait eu aucune perte pour lui à permettre une rencontre entre deux personnes travaillant sur le même sujet. Mais au lieu de cela, il a choisi de favoriser ce travail masculin, en considérant implicitement que mon projet n’avait pas la même légitimité. Mon expérience s’inscrit dans un phénomène plus large où les femmes sont souvent effacées dans des environnements dominés par des hommes perçus comme des leaders naturels. Ce manque de reconnaissance dans les événements ou espaces de présentation est récurrent. J’ai souvent entendu des remarques du genre : « Tu te prends pour qui ? Tu n’as rien inventé, tout a déjà été inventé » (un directeur de festival de musique contemporaine). Pourtant, j’ai créé mes gants capteurs de mouvement de A à Z, de la programmation au design interactif. J’ai développé ma propre esthétique, et mes spectacles avec ce dispositif m’ont prouvé que mon travail fonctionnait. Pourquoi devrais-je répondre à un tel mépris ? Qu’est-ce qui se cache derrière ? Il s’agit d’une minimisation systématique du travail féminin et d’un manque de reconnaissance dans des espaces où les hommes occupent souvent une position dominante.
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