L’intelligence artificielle promet d’aller plus vite, plus loin, sans effort. Mais chez une partie de la Gen Z, l’enthousiasme laisse place à une inquiétude plus profonde : celle de déléguer non seulement des tâches, mais la pensée elle-même. Derrière les gains de productivité, une question germe dans les esprits : jusqu’où peut-on s’appuyer sur la machine sans s’effacer soi-même ?
On nous avait vendu une jeunesse ravie de déléguer ses devoirs, ses mails et bientôt ses idées à l’intelligence artificielle.
Une génération supposément dopée à ChatGPT, pressée d’automatiser le moindre effort. Sur le terrain, le tableau est beaucoup moins flatteur pour le storytelling techno. Dans les amphis et les bibliothèques, une autre émotion circule. Pas l’excitation. La peur.
Une peur qui ne parle pas seulement d’emplois supprimés ou de triche universitaire, mais de quelque chose de plus intime. La crainte de se vider à force d’assistance. De devenir spectateur de sa propre pensée.
Une génération que l’IA n’enthousiasme plus
C’est ce que constate Scott Anthony, professeur à Dartmouth College. Là où ses collègues testent les derniers modèles de langage avec l’enthousiasme tranquille de carrières déjà verrouillées, ses étudiants hésitent, freinent, parfois refusent.
Leur problème n’est pas moral. Ce n’est pas la peur de tricher. C’est la sensation diffuse que l’IA ne se contente pas d’aider. Elle remplace. Elle structure à la place. Elle pense avant même qu’on ait fini de formuler une question. Et beaucoup sentent confusément que ce glissement n’est pas neutre.
La peur de désapprendre à penser
Chez ces étudiants, l’IA n’est pas perçue comme un simple gain de temps. Elle ressemble plutôt à une béquille mentale qu’on aurait envie d’éviter tant qu’on marche encore droit. Leur angoisse est simple à formuler, et difficile à balayer : à force de déléguer, est-ce qu’on ne finit pas par perdre le réflexe même de réfléchir ?
Penser, écrire, analyser demandent de l’effort, de la friction, parfois de l’inconfort. L’IA, elle, lisse tout. Elle propose une réponse propre, structurée, immédiatement exploitable. Le danger, ce n’est pas l’erreur. C’est l’absence de résistance. Quand plus rien n’oblige à creuser, la pensée glisse.
Quand les études confirment l’intuition
Ce malaise n’est pas qu’une impression générationnelle. Une étude menée par le MIT a comparé plusieurs groupes lors de tâches d’écriture. Les utilisateurs de modèles de langage écrivaient plus facilement, plus rapidement, avec moins d’effort cognitif.
Mais le prix à payer est clair. Ces mêmes participants questionnaient beaucoup moins leurs productions. Moins d’esprit critique. Moins de remise en cause.
Une forme de chambre d’écho où l’IA valide ce qu’elle vient elle-même de produire. À l’inverse, les participants privés d’IA se sont dits plus satisfaits de leur travail et présentaient une activité cérébrale plus riche.
Autrement dit : l’IA soulage, mais elle endort.
Professeurs sereins, étudiants angoissés
Le contraste générationnel est brutal. Les enseignants titulaires, les cadres, les décideurs abordent l’IA avec curiosité. Leur avenir professionnel est déjà sécurisé. Pour eux, l’IA est un outil de plus, parfois même un jouet intellectuel.
Pour les étudiants, c’est autre chose. Ils arrivent sur un marché du travail déjà instable, déjà automatisé, déjà saturé. L’IA n’est pas une promesse abstraite, c’est un concurrent silencieux.
Un outil qui écrit mieux, plus vite, sans fatigue, sans doutes, sans crise existentielle. Difficile, dans ces conditions, de s’y abandonner sans arrière-pensée.
L’angoisse dépasse le travail, elle touche à l’identité
La peur de la Gen Z ne se limite pas à l’employabilité. Elle touche à quelque chose de plus profond. Si penser devient optionnel, qu’est-ce qui reste de l’humain ? Si écrire, structurer, argumenter peuvent être externalisés, où commence encore l’individu ?
Cette génération met des mots sur une intuition ancienne : l’humanité ne se forge pas dans la facilité, mais dans l’effort. Dans le doute. Dans le temps perdu à chercher une idée qui ne vient pas tout de suite. Et l’IA, en supprimant ces zones de frottement, menace ce qui fait justement la singularité humaine.
Une peur pas si irrationnelle
Il y a quelque chose de presque ironique à voir cette génération, pourtant née avec le numérique, devenir la première à lever le pied. Non par rejet de la technologie, mais par instinct de préservation. Là où d’autres ont couru vers l’automatisation, la Gen Z dit : pas comme ça. Pas à ce prix.
La question n’est pas de bannir l’IA ni de fantasmer un retour à la page blanche héroïque. Elle est ailleurs. Comment utiliser ces outils sans leur céder la barre ? Comment accepter l’assistance sans abandonner l’effort ? Comment rester actif face à une machine qui propose toujours une réponse avant même qu’on ait vraiment posé la question ?
La peur de la Gen Z n’est peut-être pas un frein au progrès. C’est peut-être son premier signal d’alarme crédible. Dans un monde où penser devient facultatif, continuer à le faire par soi-même ressemble de plus en plus à un acte radical.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Avez-vous peur de perdre votre humanité face à l’IA ? Partagez votre avis en commentaire !
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