Le slopsquatting est le petit frère maléfique du typosquatting, mais avec une touche d’IA. Tandis que son prédécesseur exploitait nos erreurs de frappe humaines, cette nouvelle menace capitalise sur les « hallucinations » des modèles d’IA
Qu’est-ce que le slopsquatting ?
Le slopsquatting est au typosquatting ce que l’arnaque 2.0 est à l’escroquerie traditionnelle : une version plus sophistiquée, plus vicieuse, et parfaitement adaptée à l’ère de l’IA.
Alors que le typosquatting exploite de simples fautes de frappe (comme « g00gle.com » au lieu de « google.com »), le slopsquatting, lui, vise et piège les développeurs mêmes en jouant avec les hallucinations des IA. Ces moments où ChatGPT, Claude ou Copilot inventent avec aplomb des noms de packages qui n’existent pas… mais qui sonnent tellement crédibles. « python-image-compressor-ultra »? »fastapi-security-pro » ? Ça a l’air officiel, non ? Dommage, c’est de la pure fiction. Enfin, pas pour très longtemps.
Un hacker aux aguets pourrait en effet aussitôt les créer… et y injecter un joli cocktail de code malveillant. Voilà votre terminal transformé en porte d’entrée royale pour leur petite entreprise criminelle.
Ainsi, les développeurs – ces mêmes experts qui sermonnent leurs utilisateurs sur les dangers des liens suspects – sont paradoxalement les premières victimes du slopsquatting. Pourquoi ? Parce qu’on vit dans un monde où l’on accorde aux IA la même confiance instinctive qu’à un collègue senior.
Quand GPT-4 vous balance un « Pour résoudre ce bug, installez simplement tensorflow-optimized-lite » d’un ton doctoral, vous ne vous posez pas de questions. Vous copiez-collez. Et c’est exactement ce que les hackers adorent.
Comment fonctionne le slopsquatting ?
Le ballet du slopsquatting se joue en trois actes. Premier acte : l’hallucination créative. Dans leur frénésie à vouloir être utiles, les modèles comme GPT-4 ou CodeLlama inventent parfois des bibliothèques qui sonnent merveilleusement légitimes. secure-password-validator
? Un nom si convaincant ! Dommage qu’il n’existe pas. Du moins, pas encore.
Second acte : l’opportunisme calculé. Des pirates aux aguets, tels des pêcheurs patients, surveillent ces créations linguistiques. Leurs algorithmes scrutent les suggestions des IA, identifient les noms de paquets hallucinés, et les enregistrent prestement sur PyPI, npm ou d’autres dépôts. La friche numérique devient alors un terrain propice aux activités malveillantes.. En effet, ces noms fraîchement déposés ne sont pas innocents. Les attaquants y glissent des lignes de code toxique, déguisées sous une couche d’utilité apparente.
Acte final : l’infiltration silencieuse. Le développeur, pressé par ses délais ou simplement confiant, copie-colle la commande d’installation suggérée par son assistant IA. Pourquoi vérifier ? L’IA semble si sûre d’elle ! En quelques secondes, le paquet malveillant s’installe, exécute discrètement son code compromis, et établit sa présence dans l’environnement. Pas d’alerte. Pas d’erreur visible. Juste une dépendance de plus dans le projet – qui se trouve être un espion au service d’intérêts obscurs. Mission accomplie, sans bruit ni fureur.
Le défi des recommandations fictives
Les chiffres donnent le vertige. L’étude « We Have a Package for You! » de Spracklen et consorts nous révèle l’ampleur insoupçonnée du phénomène : près d’un paquet sur cinq recommandé par les IA est purement fictif ! 19,7% exactement. Un cinquième des suggestions qui sortent de ces cerveaux artificiels n’existent que dans leur univers parallèle.

Et le contraste entre modèles est saisissant : les champions open source comme CodeLlama hallucinent à 21,7%, tandis que les solutions premium comme GPT-4 Turbo limitent ces divagations à 3,59%. Même les meilleurs ne sont pas infaillibles. Le fait de payer pour bénéficier de l’excellence réduit le risque, sans pour autant l’éliminer.
Plus troublant encore : la répétitivité des hallucinations. Ces erreurs ne sont pas aléatoires ! 58% des noms fictifs reviennent avec une régularité qui ferait pâlir d’envie les horlogers suisses. Les IA ont leurs marottes. Elles inventent et réinventent les mêmes bibliothèques imaginaires avec une constance remarquable. Pour les attaquants, c’est une aubaine extraordinaire. Imaginez : vous pouvez prédire les erreurs de votre adversaire ! La partie d’échecs est truquée dès le départ.
La plausibilité des hallucinations complique par ailleurs considérablement leur détection. Environ 38% des noms inventés présentent une forte similarité avec des bibliothèques légitimes existantes. Ils sonnent juste, semblent cohérents, s’intègrent parfaitement dans le flux du code.
Certains brouillent même les frontières entre écosystèmes : 8,7% des paquets Python hallucinés correspondent à des paquets npm valides. Cette confusion cross-plateforme ajoute une couche supplémentaire de risque, créant un terrain fertile pour des vulnérabilités en cascade.
Un risque majeur pour la sécurité logicielle
L’adoption massive des assistants IA transforme une menace théorique en un danger systémique. GitHub Copilot, Cursor et les autres ne sont plus en effet de simples curiosités technologiques : ils font partie intégrante du quotidien de millions de développeurs. Chaque suggestion, chaque ligne de code générée peut ainsi potentiellement faire l’objet de slopsquatting.
Le « Vibe Coding » amplifie par ailleurs dramatiquement la menace. Cette pratique décrit notre tendance croissante à coder par instinct, à faire confiance à notre intuition – ou plutôt, à celle de l’IA. Nous ne lisons plus vraiment le code généré. Nous en évaluons la « vibe« , l’apparence générale. Ça a l’air correct ? Parfait, passons à l’action !
Cette approche impressionniste du développement est l’allié parfait du slopsquatting. Les développeurs pressés ne vérifient plus l’existence officielle des paquets suggérés. Pourquoi le feraient-ils ? L’IA semble si convaincante ! Cette confiance devient la faille par excellence qu’il est possible d’exploiter. Notre quête d’efficacité immédiate se transforme en vulnérabilité.
La propagation du slopsquatting est d’autant plus redoutable qu’elle opère dans l’ombre, souvent pendant des mois avant d’être détectée. Contrairement aux attaques frontales qui déclenchent des alarmes immédiates, ces infiltrations s’intègrent parfaitement dans le flux normal du développement. Le code fonctionne. Les tests passent. Rien ne semble anormal.
Alors que pendant ce temps, vos données s’échappent, les systèmes sont compromis, les infrastructures infiltrées. Ce n’est souvent qu’après un incident majeur qu’on remonte la piste jusqu’à cette dépendance innocente, suggérée par une IA serviable il y a plusieurs cycles de développement. Trop tard : le mal est fait, à grande échelle et avec une discrétion chirurgicale.
Comment se protéger contre le slopsquatting ?
La parade technologique s’organise. Des plateformes comme Socket voient le jour pour lutter contre le slopsquatting. Leur approche ? Traquer l’inhabituel dans l’ordinaire. Ces sentinelles numériques scrutent les comportements suspects des paquets. Pourquoi une bibliothèque de formatage de texte aurait-elle besoin d’accéder à nos variables d’environnement ? Pourquoi ce code est-il délibérément obscurci ? Les scripts post-installation sont-ils vraiment nécessaires ? Chaque anomalie, même subtile, déclenche une alerte.
L’autocorrection des IA offre par ailleurs une lueur d’espoir contre le slopsquatting. Les dernières recherches démontrent que certains modèles comme GPT-4 Turbo et DeepSeek parviennent à identifier leurs propres hallucinations dans 75% des cas.
Cette capacité d’auto-vérification est une arme importante pour lutter contre le slopsquatting. Imaginez une IA qui vous avertit : « Attention, je ne suis pas sûr que ce paquet existe vraiment. Vérifiez avant d’installer. » Cette transparence représente peut-être la solution la plus élégante, car les fournisseurs d’IA pourraient tarir le slopsquatting à sa source même.
La vigilance humaine reste toutefois l’ultime rempart contre cette menace. Les équipes de développement doivent adopter de nouvelles habitudes face au slopsquatting. Par exemple, vérifier systématiquement l’existence des paquets dans les registres officiels. Maintenir des listes blanches de dépendances approuvées, etc. Simples mais efficaces, ces pratiques de sécurité peuvent être renforcées par des ajustements techniques comme la réduction du paramètre de température des IA. Moins de créativité algorithmique signifie moins d’hallucinations – et donc moins d’opportunités à exploiter pour les hackers.
Le slopsquatting révèle notre étrange relation avec l’IA : on lui demande des miracles… en oubliant qu’elle ne comprend pas vraiment ce qu’elle génère. La réponse à ce problème est peut-être plus simple qu’il n’y paraît : une répartition claire des rôles. L’IA devrait être responsable des tâches répétitives et des analyses à grande échelle. Aux humains le jugement, l’intuition et la vigilance à l’égard des failles invisibles aux machines.
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