Depuis 30 ans, la conception de moteurs moléculaires constitue un domaine très actif. Ces nanomachines sont capables d’être en mouvement grâce à un signal provenant de l’extérieur. Une source d’énergie continue assure le déplacement de ces machines. Dans ce cas, on peut considérer l’assemblée moléculaire en mouvement comme un moteur.
Plusieurs études ont démontré que les processus biologiques sont possibles grâce à des moteurs moléculaires naturels. Ces moteurs qui se mesurent en nanomètre sont composés de protéines qui se déplacent pour assurer une fonction précise. Leur déplacement peut être rotatif ou linéaire. La compréhension de ces moteurs moléculaires a permis à des chercheurs de construire des nanomachines artificielles. C’est la biomédecine qui profite le plus de ces découvertes. En effet, ces nanomachines pourraient à terme contribuer aux traitements de plusieurs maladies comme le cancer.
Les nanites : la frontière entre la science et la fiction
La science-fiction s’est emparée des nanomachines depuis longtemps. Dans son roman “L’âge de diamant”, Neal Stephenson présente des nanites autonomes qui sont capables d’accomplir des tâches de tous les jours. De son côté, Crichton, auteur de Jurassic Park, fait des minuscules machines l’antagoniste de son histoire. Sur le petit écran, la série Jack 2.0 met en scène un héros qui obtient des pouvoirs surhumains lorsque des nanites sont introduits dans son corps accidentellement. Des œuvres de ce genre, il en existe des dizaines, mais qu’en est-il de la réalité ?
Dès 1959, le prix Nobel Richard Feynman annonçait dans son discours à Caltech que l’homme est capable de construire des objets ayant la taille d’un atome. Le pari est réussi, l’invention des microprocesseurs en est la preuve. Les circuits électriques à l’intérieur de ce petit objet se mesurent en taille d’atome.
La technologie utilisée dans les microprocesseurs a été ensuite reprise pour construire des actionneurs et des capteurs. Dans la communauté scientifique, ces systèmes sont encore considérés comme « gros » puisque leur taille équivaut à plusieurs milliers d’atomes. Ces capteurs sont par exemple utilisés pour déclencher les airbags dans les voitures. On ne pourrait parler de nanomachines que lorsque la taille des pièces se mesure en nanomètres.
Bref, le terme « nanomachine » évoque actuellement deux univers. Le premier désigne les objets et systèmes qui existent déjà dans notre monde : capteurs, microdispositifs, etc. L’autre désigne un monde qui est encore imaginaire où les nanomachines présenteraient une forme d’intelligence et d’autonomie. Elles seront alors capables d’accomplir des tâches complexes. Dans la communauté scientifique, de telles machines devraient encore attendre de longues années.
Les nanomachines à l’origine de la vie sur Terre
L’existence de millions de nanomachines biologiques a rendu possible la vie sur Terre pendant des millions d’années. Elles sont à la base des activités moléculaires de notre corps. Lorsque ces nanomachines présentent des problèmes de structure et de régulation, l’homme tombe malade.
Une nanomachine désigne un dispositif qui fonctionne grâce à un moteur mécanique ou électromécanique, dont les dimensions se mesurent en nanomètres, sachant qu’un millimètre équivaut à un million de nanomètres.
Les nanomachines qui existent actuellement s’inspirent de la nature. Dès 1973, les scientifiques ont découvert que les flagelles, à l’origine de la mobilité des cellules, fonctionnent grâce à un moteur rotatif. De leur côté, les cellules eucaryotes, présentes chez les animaux et les plantes ou encore sous la forme d’organismes, possèdent des protéines motrices qui se déplacent littéralement sur le squelette cellulaire. C’est le cas par exemple des kinésines et des myosines.
L’observation de ces systèmes cellulaires a contribué au développement des nanomachines actuelles.

Les travaux sur les nanites artificiels
Dans ses travaux de 1983, Sauvage définit la nanomachine comme une machine mécanique capable de se déplacer grâce aux différentes pièces qui la composent. Son équipe conçoit alors des molécules synthétiques circulaires, les caténanes, qui s’entrelacent. La liaison repose sur la réaction physique et non chimique. Le mécanisme est similaire à celui que l’on observe sur la double hélice de l’ ADN. Néanmoins, les travaux de Sauvage n’aboutissent pas encore à la nanomachine bien qu’ils établissent déjà la base.
En 1991, l’écossais Stoddart et son équipe reprennent la méthode de Sauvage pour créer le rotaxane, une molécule ayant la forme d’un haltère qui porte une autre molécule circulaire. La dernière est alors capable de déplacement sur son axe. Le rotaxane est considéré comme la première nanomachine artificielle. Stoddart découvre des années plus tard un moyen de contrôler le mouvement de la molécule circulaire, ce qui lui a permis de gagner le prix Nobel de chimie en 2016.
La course aux plus petits moteurs
Les recherches sur les nanomachines se multiplient. En 1999, Feringa réussit à construire un rotor moléculaire capable de se déplacer à 360°. Sa source d’énergie est la lumière. Cette découverte lui a permis de partager le prix Nobel de chimie avec Stoddart et Sauvage en 2016. En 1998, les chercheurs du CNRS conçoivent un rotor à trois pales, dont la rotation est possible dans les deux sens.
En 2011, des chercheurs universitaires américains fabriquent le plus petit moteur qui se mesure en nanomètre. Le moteur électrique est constitué d’une seule molécule. En 2021, le Laboratoire Fédéral Suisse des Sciences et Technologies des Matériaux reprend ces travaux pour réduire encore la taille du moteur. Il passe alors de 18 atomes à 16.
En Allemagne, des chercheurs de l’université de Mayence réussissent à monter un moteur composé d’un seul ion de calcium. Ce moteur fonctionne grâce aux variations de température converties en énergie mécanique.
En 2017, une course de voitures moléculaires est organisée à Toulouse en France. L’événement a rassemblé des équipes venant du monde entier (États-Unis, Japon, Suisse, France, etc.). Les spectateurs assistent à la course à travers plusieurs microscopes à effet tunnel. L’Université de Bâle en Suisse remporte cette édition en parcourant 133 nanomètres avec son Nano Dragster.
Les nanomachines dans la médecine
C’est dans le domaine de la médecine que les nanomachines pourraient bien révolutionner le monde. Plusieurs études ont abouti à des résultats différents. L’objectif reste le même : trouver un meilleur traitement aux patients malades.
Les nano sous-marins
Il s’agit d’une des recherches les plus ambitieuses dans la médecine. Les chercheurs conçoivent une nanomachine capable de se déplacer dans la circulation sanguine pour accomplir une tâche précise. Elle peut par exemple détruire les cellules cancéreuses.
Ce système a été développé par des chercheurs de l’université de Tel-Aviv. Ces derniers ont conçu des nanoparticules transportant de l’ARN. Elles sont programmées pour éliminer les cellules malades. Néanmoins, ils en sont encore à la phase expérimentale.
D’autres études de même nature ont été menées aux États-Unis et aux Pays-Bas. L’université d’Eindhoven a construit un nanomoteur capable de transporter une charge, à savoir un médicament, tout en se déplaçant dans la membrane cellulaire.
Découverte de l’interaction entre les cellules de l’organisme
Pour les chercheurs de l’Université de Montréal, la recherche portait sur le décryptage des mécanismes moléculaires qui régissent toutes les activités biologiques. Prenons la levure, cet organisme unicellulaire. Comment sait-elle le bon moment pour se multiplier ? Une seule interaction suffit à reprogrammer une levure. Ce stimulus entraîne ensuite une réaction en chaîne de millions de molécules qui sont considérées comme des nanomachines.
Dans un système biologique, les molécules sont verrouillées en attendant un signal de stimulation pour le déverrouillage, appelé aussi activateur. Cet activateur peut être une hormone, une protéine ou encore un neurotransmetteur. Il modifie la forme de la serrure d’une molécule pour qu’une autre molécule puisse s’y insérer. L’activateur peut également s’intégrer à la molécule pour permettre l’insertion de l’autre molécule.
Les chercheurs ont réussi à décoder ce mécanisme complexe de serrure, clé et de code. Ils s’appuient sur ce mécanisme naturel pour concevoir un système artificiel à base de l’ADN. Les molécules se superposent pour former des nanostructures qui attendent des molécules d’activation pour s’ouvrir.
Pour ces chercheurs, leurs études ont permis de comprendre les règles et les paramètres de l’interaction entre les molécules. Elles constituent une base solide pour concevoir la nouvelle génération de biocapteurs qui s’inspire de mécanisme naturel.
Les nanofusées
Les nanofusées reposent sur le même principe que les nanosous-marins sachant qu’ils se déplacent uniquement dans du liquide. Le déplacement est similaire à celle d’une fusée puisque la nanomachine a besoin de carburant pour la propulsion par réaction. Ces véhicules sont aussi conçus pour transporter des médicaments.
Les nanomachines, un espoir pour le traitement du cancer
Lorsque l’adn se fissure, un mécanisme de réparation s’active pour assurer la soudure des deux fragments. Si ce processus de recollage ne s’effectue pas correctement, cela engendre des translocations chromosomiques, à l’origine des cancers des cellules sanguines.
Les chercheurs du Centre de recherche en cancérologie de Marseille ont étudié ce mécanisme de réparation. Ils ont découvert que les protéines XLF et XRCC4 agissent comme des gaines autour des deux fragments de l’ADN pour la réparation. Les deux protéines s’attachent aux deux extrémités pour rassembler les fragments à la manière d’un velcro. Cette découverte pourrait à terme contribuer au traitement des maladies génétiques rares et des cancers comme la leucémie. Plus concrètement, ces travaux pourraient améliorer l’efficacité des traitements comme la chimiothérapie et la radiothérapie. Pour rappel, ces traitements visent à détruire l’ADN des cellules cancéreuses. Avec cette découverte, la réparation pourrait être envisagée.
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