Europe et IA : pourquoi la souveraineté numérique devient une urgence 

L’intelligence artificielle (IA) redessine les rapports de force mondiaux, et l’Europe se retrouve pile au milieu. D’un côté, les géants américains imposent leurs plateformes, leurs modèles et leurs règles. De l’autre, la Chine avance avec une cadence de robot dopé à la caféine. 

Entre les deux, le Vieux Continent essaie encore d’attraper le train. Bon au moins, Mardi soir, la France et l’Allemagne ont annoncé un partenariat stratégique avec Mistral AI et SAP. Le but est de bâtir un cloud et des outils d’IA souverains destinés aux services publics. 

Reste une question : est-ce suffisant pour éviter une nouvelle dépendance et convaincre les entreprises qu’une voie européenne existe vraiment ?

Dépendre des autres, ce n’est jamais bon

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Lors du sommet AIM de Marseille, les discussions étaient centrées sur : comment éviter de revivre les échecs du passé ? C’est-à-dire, ceux qui ont laissé l’Europe dépendante des géants américains ? Genre, Internet au début des années 2000, celui des réseaux sociaux ensuite, ou encore la chute de Qwant ? 

Et doutez-vous que l’inquiétude est fondée. En cloud, en IA et même en logiciels de base, les entreprises européennes se sont volontairement attachées aux solutions américaines. Le rapport du CIGREF ne laisse aucune place au doute. La dépendance représente un coût de 265 milliards d’euros par an, un transfert massif de richesses vers les États-Unis. 

Pour donner un ordre d’idée, la dépendance énergétique de l’Europe représente environ 300 milliards d’hydrocarbures importés chaque année. La ministre française de l’IA, Anne Le Hénanff, l’a dit sans filtre : « Nous sommes déjà une colonie numérique des États-Unis. »

Seulement 17 % des solutions cloud utilisées en Europe sont européennes. Et pourtant, 30 % des données des entreprises sont classées “hautement sensibles” selon une étude d’Accenture. Et parmi les 100 modèles d’IA qui comptent aujourd’hui, seuls six ne viennent ni des États-Unis ni de Chine. 

Or, cette dépendance crée quatre risques majeurs. D’abord économiques : les prix peuvent grimper sans prévenir. Comme après l’acquisition de VMware par Broadcom, avec des hausses délirantes allant jusqu’à 1 500 %. 

Ensuite vient le verrouillage technologique, quand une entreprise adopte AWS et finit par se retrouver entièrement intégrée à son écosystème. S’ajoutent les risques sécuritaires, notamment avec le CLOUD Act, qui autorise les autorités américaines à accéder à des données stockées en Europe. 

Enfin, les risques culturels : les IA américaines et chinoises sont entraînées sur des normes et des contenus qui ne reflètent ni les sociétés européennes ni leurs sensibilités.

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Une troisième voie, c’est possible ? 

Malgré ce tableau, la demande pour une voie européenne existe, et elle monte clairement. Une enquête de FGS Global indique que plus de 80 % des citoyens considèrent la souveraineté technologique comme importante. Entre les tensions géopolitiques et les discours musclés de responsables américains, la prise de conscience s’accélère. 

Alors, pour Douetteau, il existe bien une troisième voie. Elle est faite d’acteurs moins centralisés et plus diversifiés, capables de respecter une vision plus ouverte et plus adaptée au marché européen.

Et si l’Europe a un atout, c’est bien la donnée. Le continent génère des volumes impressionnants de données industrielles, commerciales et médicales. Et elles sont souvent mieux structurées et mieux encadrées qu’ailleurs. 

Pour Djaïz, reconquérir ces données est le premier pas vers une stratégie souveraine. Une entreprise peut identifier ses données sensibles, les isoler dans un cloud souverain et commencer à valoriser ses propres actifs numériques.

Jean-Noël de Galzain d’Hexatrust, lui, défend l’idée de bâtir une IA avec nos données, nos langues et nos normes. Cela permettrait enfin, selon lui, de développer une IA européenne pour la santé, l’industrie, les PME. Évidemment, cela exige aussi des investissements massifs. 

Heureusement, l’Europe n’est pas dépourvue de talents. Elle brille déjà en quantique, en cybersécurité, en robotique et en recherche IA. Mistral AI et Aleph Alpha illustrent ce dynamisme. Arthur Mensch insiste souvent sur la souveraineté des données comme force distincte de Mistral.

Comment les entreprises peuvent-elles reprendre le contrôle ? 

Les entreprises n’ont pas pour mission de sauver la souveraineté européenne. Elles ont une obligation : préserver leur indépendance technologique. Pour cela, David Djaïz propose un outil inédit : l’Indice de Résilience. Une sorte d’empreinte carbone du numérique permettant de mesurer la dépendance, d’identifier les zones à risque et d’équilibrer performance, coût et souveraineté. 

L’enjeu n’est pas de tout rapatrier en Europe. C’est d’agir avec lucidité. Par exemple, stocker les données sensibles sur un cloud européen ou privé, plutôt que chez un hyperscaler soumis au CLOUD Act.

Ensuite vient la diversification. Aujourd’hui, les achats souverains ne représentent que 17 % du marché numérique en Europe. Les marchés publics ne pourront pas inverser seuls la tendance. Selon Galzain, ce sont les entreprises privées qui doivent réorienter une part de leurs investissements. 

Et l’effet serait énorme. Transférer seulement 15 % des achats vers des solutions européennes injecterait 700 milliards d’euros dans l’écosystème en dix ans. Il ne s’agit pas de patriotisme mais de stratégie.

Comme le dit Djaïz, acheter européen peut sembler plus cher à court terme. Toutefois, cela constitue un investissement vital pour la compétitivité future. Car la création de valeur de demain passera par les technologies numériques que les entreprises maîtriseront — ou ne maîtriseront pas.

Ce que les États doivent faire 

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Les États ont déjà posé les fondations : RGPD, NIS2, DORA, loi sur l’IA, cadre de souveraineté du cloud. L’Europe est, de loin, le continent le plus réglementé sur ces sujets. Reste à encourager l’adoption. 

Galzain plaide pour des clauses de préférence européenne dans l’application de NIS2 et DORA. Le ministre français de l’IA soutient cette idée, sans verser dans l’autarcie. Comme le dit le ministre : les Américains soutiennent leurs géants. Les Chinois aussi. Pourquoi l’Europe serait-elle la seule à jouer sans protection ?

Le vrai défi reste l’unification. En Allemagne, Amazon est considéré comme un cloud souverain. En France, pas du tout. Difficile de bâtir une stratégie commune avec des règles divergentes.

L’annonce du partenariat public-privé Paris–Berlin avec Mistral AI et SAP arrive donc à un moment clé. Le projet repose sur quatre piliers. Un ERP souverain, l’automatisation des processus financiers, des agents numériques pour les services publics, et des capacités partagées de formation et d’innovation. 

Galzain l’avait dit : pour encourager les entreprises à acheter européen, il faut que les États montrent l’exemple. Si la France et l’Allemagne tirent le train, les autres pays suivront.

Mais le temps presse. Rater le virage de l’IA serait une erreur historique, un échec plus grave encore que celui du numérique dans les années 2000. Cette fois, l’Europe pourrait ne jamais s’en relever.

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