chat control avis experts

Chat Control : deux experts nous alertent d’une grave menace pour la vie privée

Le Conseil de l’Union Européenne a trouvé un compromis sur le très controversé règlement “Chat Control”. Officiellement, l’obligation de scanner les messages privés disparaît, au profit d’un dispositif plus nuancé centré sur la “mitigation des risques”. Officieusement, deux experts en cybersécurité, Renaud Ghia (Tixeo) et Achraf Hamid (Mailinblack), alertent sur un point commun : ce compromis, loin d’apaiser les inquiétudes, pourrait normaliser une surveillance préventive des communications et introduire une fragilité structurelle dans tout l’écosystème européen du chiffrement…

À l’heure où le chiffrement de bout en bout est devenu une ligne rouge stratégique pour les entreprises, les institutions et les citoyens, l’Europe semble accepter un mécanisme Chat Control qui, selon plusieurs spécialistes, « affaiblit par construction la sécurité qu’il prétend renforcer ». Décryptage.

Le compromis rassure… mais uniquement en apparence

Sur le papier, la suppression du scan obligatoire est présentée comme une victoire politique. Mais pour Renaud Ghia, président de Tixeo, ce soulagement est trompeur.

renaud ghia

Il rappelle que « l’article 4 du texte renforce dans le même temps les exigences concernant la mise en place de mesures d’atténuation ». Or, ces obligations sont suffisamment floues pour permettre aux plateformes d’être incitées, voire contraintes, à analyser les messages avant leur chiffrement, même dans des services E2EE.

Le risque est double selon lui :

  1. « En supprimant les termes qui fâchent, le texte fait baisser la garde de l’opinion publique et des législateurs ».
  2. Les nouvelles exigences d’atténuation « pourront exposer les messages à des scans volontaires des plateformes, ce qui continue de représenter un danger réel pour la protection de la vie privée et le secret des communications professionnelles ».

Cet assouplissement politique produit donc un effet paradoxal : moins polémique dans la forme, mais potentiellement plus dangereux dans les mécanismes qu’il autorise.

De son côté, Achraf Hamid (Mailinblack) note que ce compromis crée surtout une inflexion politique, sans résoudre le problème initial :

« Même volontaires, les capacités de scan restent techniquement un système généralisable de surveillance. Le Conseil crée un devoir de mitigation qui normalise leur existence et facilitera demain leur extension à d’autres finalités. »

Le client-side scanning : une vulnérabilité structurelle pour le chiffrement

Le cœur du débat se joue ici. Le client-side scanning (CSS) consiste à analyser les contenus directement sur le terminal, avant chiffrement. Techniquement, cela contourne le principe même de l’E2EE : les messages ne sont jamais protégés à 100 % puisqu’ils doivent être ouverts en clair pour être analysés.

Renaud Ghia confirme : « Le chiffrement garantit que seuls l’émetteur et le destinataire peuvent accéder aux messages. Avec le client-side scanning, les messages en clair sont exposés au moment du scan, ce qui introduit une vulnérabilité et nuit de facto à la promesse de confidentialité du chiffrement de bout en bout. »

achraf hamid mailinblack

Pour Achraf Hamid, la situation est encore plus critique : intégrer un moteur d’analyse à chaque terminal revient à multiplier la surface d’attaque.
Il détaille plusieurs scénarios concrets :

  • Malware greffé au module de scan pour exfiltrer photos et messages avant chiffrement.
  • Attaque supply-chain via les mises à jour du module de détection, offrant une porte dérobée à grande échelle.
  • Manipulation ou empoisonnement des listes de signatures, permettant de classer comme illicites des documents politiques, sources journalistiques ou outils de sécurité.
  • Censure ciblée en abusant de la base de détection.

Selon lui : « Ajouter un agent de scan systémique sur chaque terminal va à l’encontre d’un principe fondamental en cybersécurité : réduire au minimum les composants exposés. On fait exactement l’inverse. »

En somme : une mesure pensée pour lutter contre les crimes graves introduit une fragilité systémique pouvant être exploitée par des criminels, des groupes APT, ou même par des États.

Entreprises, OIV, institutions : les premières exposées

Si les citoyens sont directement concernés, les organisations — publiques comme privées — seront en première ligne.
Pour Tixeo, les acteurs les plus exposés seraient :

  • les institutions publiques,
  • les entreprises critiques (santé, finance, défense),
  • les organisations gouvernementales,
  • et toutes les structures soumises à des régulations comme RGPD, NIS2, ou DORA.

Le risque est fortement amplifié par le BYOD : l’usage d’appareils personnels pour accéder aux environnements professionnels.

« Sur ces appareils hybrides, les plateformes visées par le scan pourraient exposer échanges internes, données stratégiques et propriété intellectuelle », prévient Renaud Ghia.

Pour les entreprises, il s’agit bien plus qu’un problème de confidentialité : c’est une perte de conformité réglementaire, et un risque direct pour la souveraineté des données.

“Volontaire”… mais potentiellement obligatoire dans les faits

YouTube video

L’un des passages les plus ambigus du compromis concerne les mesures d’atténuation imposées aux plateformes “à haut risque pour les mineurs”.

Sur le terrain, cela pourrait devenir une obligation déguisée. Renaud Ghia note : « La demande d’atténuation peut être interprétée comme une vraie contrainte. Les sanctions financières en cas de non-respect renforcent cette pression, sans exclure explicitement le client-side scanning. »

Autrement dit :
→ Les textes n’imposent pas directement le scan.
→ Mais ne pas le déployer pourrait être considéré comme un manquement.

Le risque d’un basculement progressif vers une surveillance indirecte quasi-généralisée est donc bien réel.

Un risque de distorsion de concurrence en défaveur de l’Europe

Autre conséquence inattendue : un avantage concurrentiel pour les géants américains.

Achraf Hamid l’explique ainsi : « Les grandes plateformes US peuvent absorber le coût de conformité, influencer la standardisation des API de scan et les transformer en quasi-norme de marché. Les acteurs européens centrés sur la confidentialité, eux, pourraient être marginalisés. »

Des services comme Proton, Element, Threema ou Tuta ont déjà exprimé leurs inquiétudes. Certains évoquent même un possible retrait du marché européen si le texte allait au bout.

Ce que Renaud Ghia résume comme un risque de dépendance accrue aux GAFAM, alors même que l’Europe cherche à renforcer sa souveraineté numérique.

Selon lui : « Les entités critiques pourraient délaisser le marché européen, créant une défiance généralisée. »

Une efficacité contestée face aux criminels

YouTube video

L’un des paradoxes les plus frappants : le dispositif toucherait surtout les citoyens respectueux des lois, beaucoup moins les criminels.

Achraf Hamid est catégorique : « Les criminels utilisent déjà des outils sans traçage, des services auto-hébergés ou des canaux fermés. Ils échapperont à un scan standardisé. »

En revanche, la surveillance générerait :

  • une masse de faux positifs,
  • une charge d’analyse ingérable,
  • une intrusion forte dans la vie privée des citoyens.

Un système coûteux, intrusif, mais inefficace contre les acteurs les plus dangereux.

Le rôle du Parlement européen dans la sauvegarde du chiffrement

Le Parlement dispose encore d’une marge de manœuvre importante. Selon Tixeo, il peut :

  • bloquer l’adoption du texte,
  • protéger explicitement le chiffrement de bout en bout,
  • interdire le client-side scanning,
  • limiter les ordres de détection à des cas ciblés et judiciairement encadrés.

Mais l’expert avertit : « Même un compromis acceptable mais ambigu pourrait ouvrir la voie à des mesures de contrôle élargies demain. » Le risque d’un glissement progressif reste omniprésent.

Quelle voie acceptable pour protéger sans affaiblir ?

Pour Mailinblack, une alternative existe, mais elle impose des lignes rouges très nettes :

  • aucune obligation, ni incitation forte au scanning côté client,
  • mesures ciblées et contrôlées judiciairement,
  • transparence statistique,
  • investissement dans les enquêtes spécialisées et la prévention plutôt que dans la surveillance algorithmique de masse,
  • exploration de technologies réellement privacy-by-design (MPC, analyses locales décentralisées).

Pour Tixeo, la recommandation centrale est limpide : « Garantir absolument la préservation du chiffrement de bout en bout sans exception ni analyse préalable. Toute dérogation crée une faille structurelle. »

Conclusion : un compromis politique, un recul technique

Le compromis du Conseil ne met pas fin au projet Chat Control. Il en change simplement la forme, tout en conservant les mécanismes les plus contestés : le scan avant chiffrement, les obligations d’atténuation floues, et un cadre qui pourrait normaliser une surveillance préventive des communications privées.

Pour les deux experts, l’Europe s’aventure vers un modèle où la protection des mineurs se fait au prix d’une fragilité systémique du chiffrement… dans un contexte géopolitique où la cybersécurité devrait au contraire être renforcée, pas affaiblie.

La balle est désormais dans le camp du Parlement. Son prochain vote dira si l’Union européenne choisit la voie du chiffrement robuste… ou celle d’un modèle de surveillance préventive aux contours encore largement indéfinis.

Restez à la pointe de l'information avec LEBIGDATA.FR !

▶ Abonnez-vous à notre chaîne YouTube et Ajoutez-nous à vos favoris sur Google Actualités
Cliquez pour commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Newsletter

La newsletter IA du futur

Rejoins nos 100 000 passionnés et experts et reçois en avant-première les dernières tendances de l’intelligence artificielle🔥