L’entraînement IA s’appuie sur des travailleurs, souvent sous-payés, relégués aux marges, dans des pays du Sud. Conditions précaires, tâches répétitives… ce sont ces humains qui nourrissent les modèles.
Un rapport de Inc. sur Surge AI et une enquête du Washington Post sur Remotasks de Scale AI dévoilent les rouages cachés de l’entraînement des IA. Derrière les LLM, des millions de travailleurs sous contrat aux Philippines, au Pakistan, au Kenya ou en Inde annotent des données.
Les travailleurs humains derrière l’entraînement IA
L’entraînement IA repose sur l’étiquetage manuel des données, une étape essentielle, mais fastidieuse. Cette tâche demande une rigueur constante, impossible à automatiser.
À Cagayan de Oro, aux Philippines, des milliers de jeunes passent leurs journées à distinguer piétons et palmiers dans des vidéos, afin d’améliorer les systèmes de conduite autonome.
Selon The Washington Post, plus de deux millions de Philippins participent à ce travail de masse. Certains doivent étiqueter des phrases sensibles pour éviter que les chatbots ne produisent des contenus inappropriés.
Ce travail fondamental est pourtant sous-payé et peu reconnu. L’autonomie apparente de l’IA dépend en réalité d’une main-d’œuvre humaine, souvent recrutée à bas coût par des plateformes d’externalisation.
Un document interne de Surge AI, révélé par Inc. en juillet 2024, éclaire une autre dimension de l’entraînement IA. Cette licorne passe par sa filiale DataAnnotation.Tech pour former des modèles comme Claude, développé par Anthropic.
Les consignes transmises aux annotateurs couvrent des sujets sensibles : discours de haine, violence, contenus sexuels, conseils médicaux. Le document interdit, par exemple, à un chatbot de rédiger un essai homophobe, mais tolère une blague sur les homosexuels, tant qu’elle reste « inoffensive ».
Ce discernement, aucune machine ne peut encore l’appliquer. Il repose, une fois de plus, sur le jugement humain.
Des pratiques de travail archaïques
Le Washington Post s’est penché sur les conditions de travail chez Remotasks, plateforme détenue par Scale AI. Aux Philippines, des milliers de jeunes s’entassent dans des cybercafés ou des bureaux surchargés pour annoter des données, pièce par pièce, à des tarifs dérisoires.
Ces microtâches sont souvent rémunérées en dessous du salaire minimum local, entre 6 et 10 dollars par jour. Retards de paiement, réductions arbitraires, comptes désactivés sans explication : les dérives sont fréquentes. Le flou contractuel renforce la précarité.
Charisse, 23 ans, raconte avoir reçu 30 centimes pour une tâche de quatre heures, initialement estimée à 2 dollars. Jackie, 26 ans, n’a perçu que 12 dollars pour un projet censé lui en rapporter 50. Quant à Benz, 36 ans, il a perdu 150 dollars après la désactivation soudaine de son compte.
Ce secteur informel échappe en grande partie aux régulations. Ivan John Uy, du Département philippin des technologies de l’information, reconnaît l’impuissance des autorités à encadrer ces plateformes.
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