Saviez‑vous qu’entre la Chine et les USA, la guerre des puces se joue déjà à coups de milliards. Le conflit menace les chaînes d’approvisionnement mondiales et pèse sur l’industrie comme sur la sécurité nationale des deux grandes puissances. Je vous propose d’en décrypter la conjoncture, ses acteurs et ses enjeux.
Contexte de la guerre des puces opposant la Chine et les USA
La rivalité sur les semi-conducteurs remonte à moins d’une décennie. Elle a pris son essor dans le contexte de la guerre commerciale de 2018. Le conflit initialement centré sur l’acier et l’industrie automobile a rapidement glissé vers les hautes technologies. Les États-Unis ont, en effet, changé leur doctrine en septembre 2022. L’objectif n’est plus de maintenir deux générations d’avance, mais de préserver « un avantage aussi large que possible ». Washington veut freiner le développement des capacités de production chinoises.
Le cœur de cette compétition se trouve donc dans la maîtrise de la lithography. L’industrie dépend notamment de quelques acteurs clés. Le néerlandais ASML holding est, par exemple, l’unique fournisseur au niveau mondial de machines à lithography ultraviolette (EUV). Ces systèmes sont surtout indispensables pour fabriquer les puces électroniques les plus avancées. De plus, la chaîne de valeur dépend d’outils de conception logicielle. Les outils Electronic Design Automation (EDA) servent à concevoir des circuits complexes. Ces logiciels assurent la précision et réduisent le coût du développement.
Les sanctions et les mesures commerciales ont des répercussions immédiates. Les entreprises doivent revoir leurs chaînes d’approvisionnement. Une étude de 2019 a montré que 120 des 200 plus grandes entreprises américaines en Chine prévoyaient cette révision. La pénurie de semi-conducteurs à nœuds matures après la pandémie a paralysé l’industrie automobile mondiale. Ce secteur est particulièrement exposé, surtout en Europe.
Cette lutte géopolitique oblige les acteurs privés et les États à reconsidérer leurs stratégies. Elle crée un climat d’insécurité industrielle. La fragmentation des chaînes d’approvisionnement est un risque important. Le caractère extraterritorial des contrôles américains force les entreprises étrangères à s’aligner sur la réglementation de Washington. Cela transforme le commerce technologique en une affaire de souveraineté.
Les USA bloquent l’accès de la Chine aux technologies dans la guerre des puces
Washington déploie une variété de dispositifs réglementaires. Les États-Unis utilisent des contrôles à l’exportation ciblés. Des restrictions sont imposées sur l’exportation de semi-conducteurs haut de gamme. Les mesures d’octobre 2022 interdisent aux entreprises et citoyens américains de soutenir le développement de puces avancées en Chine. Cette stratégie vise à empêcher Pékin d’accéder aux technologies indispensables pour l’intelligence artificielle.
Par ailleurs, Washington soutient sa propre industrie avec le CHIPS and Science Act. Cette loi, signée en août 2022, autorise un investissement de 280 milliards de dollars. Plus précisément, elle alloue 39 milliards de dollars de subventions. Le texte inclut aussi un crédit d’impôt de 25%. Il y a une condition essentielle pour les bénéficiaires : ils ne peuvent pas construire ou moderniser des usines de puces avancées en Chine pendant dix ans.
Washington coordonne sa politique avec ses alliés technologiques. Les États-Unis exercent une pression diplomatique sur des pays comme les Pays-Bas. Le gouvernement néerlandais a ainsi imposé ses propres restrictions. Ces mesures empêchent ASML d’exporter certaines machines de lithography. Ces restrictions illustrent une coopération multilatérale pour contenir les progrès technologique chinois.
Les effets de cette politique sont observables sur l’accès aux machines. Les entreprises chinoises peinent à obtenir des systèmes EUV. Les restrictions créent également des défis pour les fonderies étrangères qui opèrent en Chine. Washington n’accorde plus de licences pour « accroître la capacité ou moderniser la technologie » de ces usines. Ces actions forcent les entreprises à des ajustements stratégiques.
La Chine tente de résister aux USA dans la guerre des puces
En réponse à ces pressions américaines, Pékin mobilise d’importantes ressources. La Chine a notamment lancé le Big Fund III en mai 2024. Ce fonds a levé près de 344 milliards de yuans, soit 47,5 milliards de dollars. L’objectif est de renforcer la chaîne de production nationale. Ce nouvel effort public et privé montre une grande volonté politique.
La stratégie chinoise se concentre sur plusieurs priorités techniques. Elle vise le renforcement de ses foundries locales. Les fondeurs chinois SMIC et Hua Hong sont les 5e et 6e plus grands au monde. La Chine veut développer son propre écosystème EDA. Des startups comme X-Epic et Amedac sont créées par d’anciens cadres d’entreprises occidentales.
L’action industrielle de Pékin inclut l’intégration verticale. La substitution d’imports et les investissements massifs en R&D sont favorisés. Les autorités ciblent des secteurs spécifiques comme les semi-conducteurs de puissance. En 2020, la Chine a investi 10,9 milliards de dollars dans 25 projets liés au carbure de silicium (SiC) et au nitrure de gallium (GaN). Ce choix stratégique aide la Chine à contourner certains verrous occidentaux.
La Chine fait face à des verrous des USA dans cette guerre des puces électroniques. L’accès aux machines avancées de lithography est le principal goulot d’étranglement. La république populaire dépend de matériaux critiques et de brevets étrangers. Ces obstacles freinent sa montée en gamme technologique. De fait, elle ne devrait atteindre que 19,4% de sa production. Son objectif de 70% pour 2025 devient donc hors d’atteinte.
Quelles répercussions pour les chaînes d’approvisionnement européennes ?
L’Union européenne est dans une position de dépendance critique. Sa production représente moins de 10% de la production mondiale. Par conséquent, l’UE repose fortement sur des fournisseurs étrangers. L’industrie automobile européenne, qui fabrique près d’un tiers des véhicules mondiaux, est particulièrement exposée. Les secteurs des télécommunications et de la défense sont également vulnérables.
Les tensions ont un impact opérationnel direct. Les entreprises européennes subissent des retards et des hausses de coûts. Les contraintes logistiques se multiplient. Les perturbations dans le transport maritime en 2024, comme le recul de 50% du trafic dans le canal de Panama, ont exacerbé ces tensions. Ces facteurs externes mettent à rude épreuve les stocks de composants.
Les vulnérabilités sont présentes à plusieurs niveaux. Elles concernent l’approvisionnement en matériaux. L’accès aux outils de test est aussi une difficulté. L’intégration des IP cores dans les chaînes de valeur représente un défi. La société néerlandaise ASM International a déjà été affectée par les contrôles américains.
La pandémie du Covid19 a révélé un manque de visibilité fournisseur. Les entreprises connaissent souvent leurs fournisseurs de premier rang, mais pas ceux des niveaux inférieurs. Pour renforcer la résilience, des outils d’audit sont indispensables. Une meilleure visibilité de la chaîne de valeur complète aiderait à mieux identifier les risques.
Quelles options politiques et choix industriels pour l’Union européenne ?
L’UE adapte sa politique pour contrer ces dépendances. Elle passe d’une approche de marché libre à une stratégie industrielle volontariste. Les options stratégiques incluent une diversification des fournisseurs. Elles reposent aussi sur le renforcement de la R&D. L’objectif affiché du European Chips Act est d’atteindre 20% de part de marché mondiale en 2030.
Plusieurs mesures pragmatiques accompagnent cette stratégie. La Commission européenne encourage les audits de dépendance. De même, les clauses de résilience contractuelle sont promues. Des plans de continuité industrialisés sont aussi en cours d’élaboration. Ces initiatives visent à réduire l’exposition de l’industrie aux ruptures d’approvisionnement.
L’UE mobilise des leviers financiers importants. Le European Chips Act a pour but de lever plus de 43 milliards d’euros. Ce montant est issu d’un mix d’investissements publics et privés. Le texte offre des incitations ciblées. Le cadre des projets importants d’intérêt européen commun (IPCEI) aide à financer la R&D et la fabrication.
L’UE propose aussi des actions immédiates pour les entreprises. Le renforcement de la formation technique constitue un levier important. Les programmes existants comme Erasmus+ y contribuent. Le soutien à l’infrastructure de test est essentiel. Les centres de design et de validation doivent être amplifiés. Découvrez également Quel pays d’Europe est champion de l’IA ?
Classement des pays producteurs de puces électroniques
En tête de course, Taïwan demeure le centre de la production avancée grâce à la firme TSMC et son quasi-monopole sur les nœuds sub-5 nm et 3 nm. L’île abrite un vaste écosystème de sous-traitants, de fournisseurs de matériaux et de talents, ce qui en fait l’épicentre des fonderies mondiales et le pilier des chaînes d’approvisionnement haut de gamme.
Sur la seconde marche du podium, les États‑Unis se distinguent en conception, EDA et équipements, avec des acteurs clés comme Intel, NVIDIA et Lam Research. Le CHIPS Act et d’autres mesures récentes cherchent à relocaliser la fabrication et à accroître la capacité nationale. Cela renforce la souveraineté technologique et l’innovation pour l’IA et les serveurs.
A la troisième place, la Chine multiplie les investissements pour diminuer sa dépendance aux importations, développe les fabs de SMIC et YMTC axés sur les nœuds matures et renforce les capacités d’aval (packaging, test). Dans le cadre de la Chine vs USA, guerre des puces, Pékin mise sur l’autosuffisance par des subventions massives, la formation des talents et des acquisitions ciblées, sans pouvoir encore produire tous les équipements nécessaires aux procédés les plus avancés.
Autres pays clés du classement, la Corée du Sud occupe la première place sur la mémoire avec Samsung et SK hynix. Dans le top 5, le Japon fournit également des matériaux et outillage. Sur le vieux continent, les Pays‑Bas reste le champion incontesté, loin devant l’Allemagne qui s’attaque plutôt à un marché de niche. Enfin, la guerre des puces ne concerne pas uniquement la Chine et les USA. Elle voit également la participation de Singapour, Israël et Inde qui ne cessent de progresser en matière de conception et création d’écosystèmes locaux.
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