Un habitant du Colorado a gagné un concours d’art en présentant un tableau généré par l’intelligence artificielle MidJourney. Sa victoire crée la polémique, et déclenche la colère des artistes sur les réseaux sociaux… faut-il laisser l’IA conquérir le monde de l’art ?
En s’inscrivant à son premier concours d’art, Jason M. Allen ne pensait pas vraiment avoir sa chance de gagner. Comme la plupart des artistes, il était stressé et nerveux à l’idée de participer à la compétition.
Au final, en août 2022, ce créateur de jeu vidéo a gagné la Colorado State Fair Fine Arts Competition dans la catégorie « art numérique / photographie manipulée numériquement » et empoché la récompense de 300 dollars.
Toutefois, sa victoire crée la polémique dans le monde de l’art. Pour cause, contrairement aux autres participants au concours, Jason M. Allen n’a pas peint son tableau lui-même.
Théâtre d’Opéra Spatial : un tableau généré par MidJourney
Son image gagnante, intitulée « Théâtre d’Opéra Spatial », est générée par MidJourney : une intelligence artificielle capable de créer des images artistiques à partir de mots entrés par l’utilisateur.
N’importe qui peut utiliser MidJourney via Discord. Pour en savoir plus sur cette IA révolutionnaire, découvrez notre dossier complet sur MidJourney.
Outre MidJourney, de nombreuses intelligences artificielles de génération d’art ont vu le jour au fil des derniers mois. On peut également citer DALL-E d’OpenAI, Imagen de Google Research ou encore Stable Diffusion. Toutefois, ces IA requièrent une invitation ou sont tout simplement réservées aux chercheurs.
La victoire de cet habitant de Pueblo West âgé de 39 ans suscite le débat. Beaucoup se demandent si l’art peut vraiment être généré par ordinateur, et ce qu’est vraiment un artiste…
L’image de Jason Allen ressemble à un tableau surréaliste à la croisée de l’art de la Renaissance et des peintures de genre steampunk. De son propre aveu, ce Coloradien est fasciné par cette image et « pense que tout le monde devrait la voir ».
Au total, 11 personnes ont participé à la compétition dans la même catégorie avec 18 oeuvres d’art. De son côté, Allen a présenté trois images générées par MidJourney.
Selon la description officielle, cette catégorie englobe toutes les oeuvres utilisant « la technologie numérique dans le cadre du processus de création ou de présentation ». Bien entendu, Allen avait précisé que son image était créée par MidJourney au moment de s’inscrire au concours.
Les artistes enragent sur les réseaux sociaux
Si l’art généré par IA divise depuis ses débuts, cette première victoire lors d’une compétition met le feu aux foudres. Fier de son succès, Allen a partagé sa joie sur le serveur Discord de MidJourney le 25 août 2022 et la nouvelle s’est rapidement propagée sur Twitter et les autres réseaux sociaux.
https://twitter.com/OmniMorpho/status/1564782875072872450?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1564782875072872450%7Ctwgr%5E7574b3b598822b8ac14a489d67133e1e7f78673e%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.vice.com%2Fen%2Farticle%2Fbvmvqm%2Fan-ai-generated-artwork-won-first-place-at-a-state-fair-fine-arts-competition-and-artists-are-pissed
Or, de nombreux artistes ont exprimé leur colère. Selon un utilisateur de Twitter, « c’est nul pour la même raison qu’on ne laisse pas de robots participer aux Jeux olympiques ».
Un autre internaute estime que « c’est la définition littérale de presser quelques boutons pour créer une oeuvre d’art numérique, l’art IA est la banane scotchée au mur du monde numérique ».
Il s’agit d’une référence à la banane scotchée au mur vendue 120 000 dollars à la foire d’art contemporain Art Basel de Miami en 2019, considérée comme une escroquerie par de nombreuses personnes.
Plus de 80 heures de travail sur MidJourney
Toutefois, même si Allen n’a pas utilisé de pinceau pour créer son oeuvre d’art, il assure avoir beaucoup travaillé sur ce tableau. Selon lui, « ce n’est pas simplement coller des mots ensemble et gagner des compétitions ».
Même s’il est possible d’entrer une simple phrase sur Midjourney pour recevoir plusieurs images en quelques secondes, le processus créatif de Jason Allen n’est pas si simple. Pour obtenir les trois images finales inscrites à la compétition, il explique avoir travaillé plus de 80 heures avec l’IA.
Il a d’abord expérimenté différentes phrases pour mener MidJourney à générer des images de femmes vêtues de robes et de scaphandres d’astronautes. Son objectif était de mélanger les costumes de style victorien avec le thème spatial.
Au fil du temps, il a apporté de nombreux changements subtils à son texte. Le but était par exemple d’ajuster l’éclairage ou l’harmonie des couleurs.
Pour l’heure, Allen refuse de révéler le texte ayant permis de générer l’image gagnante. Il compte garder le secret jusqu’à publier une oeuvre plus vaste qu’il espère terminer en fin d’année.
Au total, plus de 900 itérations ont été créées pour atteindre le résultat final. Allen a ensuite utilisé Photoshop pour retoucher ses trois images, par exemple pour l’un des personnages auxquels MidJourney avait tout bonnement oublié de donner une tête.
Il a aussi utilisé le programme Gigapixel AI pour améliorer la définition de ses trois images. Enfin, il a fait imprimer ses oeuvres sur une toile à l’imprimerie du quartier.
Le juge n’avait pas compris que l’image était générée par IA
Malgré les critiques, Jason Allen est fier de susciter le débat sur l’usage de l’IA pour la création artistique. Selon lui, « plutôt que de haïr une technologie ou les personnes derrière, nous devons reconnaître qu’il s’agit d’un outil puissant et l’utiliser pour aller de l’avant plutôt que de bouder ». Difficile de lui donner tort sur ce point.
L’un des juges de la compétition, le professeur d’art Cal Duran, explique qu’il n’a pas réalisé que l’oeuvre était générée par une IA au moment de l’évaluer. Néanmoins, il ne regrette pas de lui avoir offert la première place et estime qu’il s’agit d’une « belle oeuvre ».
Il pense que cette oeuvre implique de nombreuses choses, et que l’intelligence artificielle pourrait donner « davantage d’opportunités à des personnes qui ne se considèrent pas comme des artistes au sens conventionnel »…
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