Qui est sur Terre pour travailler ? – une tribune de Stéphane Geyres

[su_quote cite= »Stéphane Geyres »]Un article du Monde du 6/2 posait la question suivante : « Qui travaillera demain ? Les robots ou les humains ? » Clairement, à travers cette question, le journal part de deux hypothèses : il est nécessaire de travailler, et les robots sont une menace pour notre travail. Ce thème de la menace est assez récurrent dans la presse pour qu’on puisse le supposer.

Pourtant, dans l’absolu, ce qui est nécessaire pour vivre, c’est un revenu, assez pour se nourrir et assouvir ses besoins et envies. Travailler n’est qu’un moyen d’avoir des revenus, il y en a d’autres. De plus, le travail peut être abrutissant, tel en usine ou à la mine. Plus généralement, proposez à quiconque de disposer de revenus sans travailler, sa réaction sera probablement favorable.

Si pour des revenus, il faut travailler, il importe que ce travail soit efficace, rentable, productif. On cherche à maximiser le revenu tiré du travail, jamais le travail lui-même. Le travail en soi n’a aucune valeur, aucun intérêt, sinon nous passerions tous notre vie à creuser des trous pour les reboucher aussitôt et recommencer.

Faisons une pause. Observons les questions posées par Le Monde. Pourquoi s’inquiéter de notre travail, plutôt que des revenus, ou du niveau de vie ? Et pourquoi ce lien avec les robots ?

À quoi les robots servent-ils ? Clairement, à produire plus, souvent mieux, pour moins de travail. Plus de revenus pour moins de travail, voilà qui devrait convenir à tout le monde, pourtant.

Autre pause. Tentons de nous projeter demain dans une société où les robots seraient omniprésents, un peu comme l’imagina Isaac Asimov sur Solaria dans son célèbre « The Naked Sun ».

Dans ce roman, les habitants de Solaria disposent chacun de quelque 10.000 robots à ses ordres. Évidemment, par suite, ces hommes profitent tous d’un niveau de vie et d’un confort inconcevables aujourd’hui. Car leurs troupes s’activent et produisent pour eux. Certes, il s’agit de science-fiction, mais l’œuvre a l’intérêt d’illustrer que le robot n’est pas forcément une menace contre notre travail, mais l’opportunité d’une société où moins de travail se conjugue avec plus de prospérité, pour tous.

armée de robots

Quand on imagine un robot, c’en est souvent un du type des machines du roman, d’une certaine autonomie, capable de plus ou moins de choses, dont nous avons toujours directement le contrôle. Les robots aspirateurs domestiques qui se démocratisent sont de cette catégorie. L’article du Monde a probablement plutôt à l’esprit ces robots industriels très variés envahissant les usines.

Chez ces robots industriels, Le Monde voit une menace, sur le travail et envers le travailleur. Mais dira-t-on que le robot aspirateur est une menace pour les femmes de ménage ? C’est peu probable.

Voyage. Au Japon, la démographie est inquiétante. Les personnes de 65 ans et plus dépassent 27% de la population, 35% prévus en 2050, alors que les jeunes se raréfient. Dans cet article passionnant (http://rodneybrooks.com/megatrend-the-demographic-inversion/) Rodney Brooks, ex-MIT, souligne l’urgence de l’arrivée de robots en nombre et variété pour apporter une aide concrète, ménagère et médicale, à cette foule âgée qui ne pourra compter sur ses jeunes auprès d’elle. Ces robots-là seront-ils une menace ? Ou autant de produits à concevoir et à produire, et autant de travail ?

Entre travail menacé et opportunités nouvelles, Le Monde choisit de restreindre sa question à celle d’une remise en cause du travail, et donc des travailleurs. Mettant ainsi de côté productivité, niveau de vie, opportunités et aides de vie, ou tant d’autres usages possibles à venir du robot.

Pourtant, qui est sur Terre pour travailler ? On l’a vu, personne. Pas même l’ouvrier en usine.

Il s’agit donc plutôt de chercher à clarifier les conditions pour nous rapprocher plus vite d’une société assez développée pour que les robots soient là partout pour nous aider.

On le sait, le journaliste craint le robot remplaçant l’ouvrier. Là serait la menace. Or cela n’a guère de sens, et mésestime l’ouvrier. Dans les usines, avec l’arrivée de robots, l’ouvrier devient leur superviseur. Son revenu grimpe, car sa productivité aussi. Les robots ne l’ont pas remplacé.

lightsout robot pepper

On fera remarquer que certains ouvriers ont dû quitter l’usine, et leur emploi. C’est souvent vrai, en effet. Mais pourquoi serait-ce la faute des robots ? Au contraire, ils pourraient bien être la solution.

Imaginez que ces ouvriers se regroupent, investissent dans un, deux, puis plusieurs robots peintres, puis offrent leurs services de peinture à prix et qualité imbattable. (La peinture n’est qu’un exemple, tout autre type d’activité convient, selon le type de robots disponible sur le marché.)

Les choses deviennent très différentes. L’ouvrier est devenu propriétaire de robots. Comme la ménagère possédant son robot aspirateur, et la vieille dame au Japon ses robots d’assistance.

Dans une société d’entrepreneurs, le robot ne travaille plus à notre place, mais en notre nom. Nous en avons le contrôle et chacun de nous a tout intérêt à en avoir toujours d’autres, car ils nous évitent de travailler tout en nous apportant revenu, confort et assistance. Ce type de société finira probablement par émerger de toute façon, pour cette raison. Le « moindre travail » pousse toujours.

Mettre en débat les conditions pour que les rigidités d’une société post-industrielle deviennent au plus vite une société d’entrepreneurs robotisés par millions, voilà une des questions que Le Monde aurait pu poser au sujet de l’avenir du lien professionnel entre l’homme et le robot.[/su_quote]

À propos de l’auteur :

Stéphane Geyres est un professionnel chevronné de la cybersécurité et de la gestion des risques numériques ayant une expérience professionnelle avérée dans la plupart des domaines liés aux risques IT, par exemple la sécurité, la sûreté, la fiabilité, la certification, l’assurance, en audit comme en conseil.

Les principaux défis qui m’intéressent sont ceux où le numérique rencontre la société civile, ou lorsqu’un secteur industriel effectue un virage radical vers les technologies numériques alors que la cybersécurité n’est encore qu’une préoccupation naissante, ainsi qu’en lien au rôle de l’identité numérique et d’autres nouvelles solutions de sécurité dans le cadre de notre future décentralisation.

Spécialement friand des sujets faisant le lien entre la technologie et la société civile, le droit, l’économie et la liberté.

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2 commentaires

2 Commentaires

  1. Très bon article.
    C’est la thèse que j’ai défendu à des questions sur ce sujet sur le site Quora.
    Le changement profond arrivera rapidement.
    Le changement existe déjà sous la forme d’algorithmes qui jouent des milliards en bourse pour d’heureux propriétaires, le modèle a donc fait ses preuves.
    Eh oui, Les gens ringards et accrochés à leur vieilles habitudes ne se posent pas les bonnes questions !
    Le travail et l’argent doivent disparaitre dans le futur, il faut commencer à chercher comment.

  2. « Imaginez que ces ouvriers se regroupent, investissent dans un, deux, puis plusieurs robots peintres, puis offrent leurs services de peinture à prix et qualité imbattable. (La peinture n’est qu’un exemple, tout autre type d’activité convient, selon le type de robots disponible sur le marché.) »
    On voit bien, par l’exemple des caisses automatiques des supermarchés, ou dans les industries de manière générale, que ça ne fonctionne pas comme ça dans un environnement capitaliste (ou d’entrepreneurs comme c’est désigné dans l’article).
    D’abord par que les salaires des ouvriers sont trop bas et donc qu’ils ne peuvent investir vers des technologies chers (pas de capital de départ, pas de prêts bancaires…), et parce qu’ensuite, tout ce qui a trait avec la fabrication et la maintenance des technologies est délocalisée vers le coût le plus bas.
    A moins d’aller vers un modèle collectiviste complet des moyens de production, les craintes sont donc pleinement justifiées…

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