De la création de compagnons d’apprentissages virtuels à la coordination des travaux en groupe, en passant par la stimulation cognitive et la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle a les moyens de répondre aux défis qui attendent l’éducation. Petit tour d’horizon.
L’intelligence artificielle imprime de profonds changements au monde du travail, et la sphère éducative doit s’adapter en conséquence pour former des actifs préparés à cette nouvelle donne. Or, ce changement peut, à de nombreux égards, être facilité par l’intelligence artificielle elle-même ! L’une des principales ambitions d’IBM pour son superordinateur Watson est ainsi d’en faire un outil au service de l’éducation du futur, permettant un apprentissage sur-mesure, adapté au profil de chaque élève afin d’optimiser l’efficacité de l’enseignement. Le groupe éditorial Pearson, spécialisé dans l’éducation, a récemment publié une étude plaidant pour l’usage de l’intelligence artificielle dans l’éducation.
En mars dernier, Forbes consacrait un article au sujet. Les géants des nouvelles technologies n’ont pas attendu pour se lancer. Bill Gates, le patron de Microsoft, s’est récemment fait le chantre de l’intelligence artificielle et de ses apports potentiels à la sphère éducative, dans un entretien accordé à The Verge. En 2014, Google a lancé Classroom, un outil destiné à faciliter la communication en ligne entre professeurs et étudiants, permettant aux premiers d’informer les seconds, de collecter leurs rendus et de leur communiquer leurs notes. Facebook, de son côté, a mis en place un partenariat avec Summit Public Schools, un réseau d’écoles localisées dans la Baie de San Francisco, également financé par la Gates Foundation. L’objectif du partenariat est de concevoir un logiciel d’enseignement individualisé, et de le rendre gratuitement disponible et utilisable par tous. L’intelligence artificielle est bel et bien aux portes de l’éducation.
Un compagnon d’apprentissage
L’une des tendances de fond causées par l’essor de l’intelligence artificielle sur le marché du travail est l’obsolescence accélérée et généralisée des compétences. Les travailleurs devront ainsi, de plus en plus, acquérir de nouveaux talents tout au long de leur vie professionnelle. Il nous faudra donc évoluer vers une société de l’apprentissage, où l’éducation n’est plus cantonnée aux vertes années. Dans la Grèce antique, l’apprentissage se déroulait dans le cadre d’un couple maître-disciple. Dans un futur proche, l’intelligence artificielle permettra à chaque individu d’avoir son compagnon d’apprentissage virtuel, un bot qui le suivra toute sa vie dans l’acquisition de nouveaux savoirs.
« Ces compagnons d’apprentissage seront logés sur le cloud, accessibles via différents appareils et capables d’opérer hors ligne si nécessaire. » lit-on ainsi dans le rapport de Pearson sur l’intelligence artificielle dans l’éducation. Le compagnon virtuel pourra tisser, selon le profil psychologique de l’élève, une relation de collaboration, ou au contraire de compétition avec lui, afin d’accroître sa motivation. Il pourra également se comporter lui-même en élève, obligeant l’humain à formuler et exposer ses nouvelles connaissances de manière claire et intelligible, lui permettant ainsi de les solidifier. L’ordinateur pourra enfin guider l’individu dans son apprentissage, en l’orientant par exemple vers les connaissances à acquérir en priorité.
Du potentiel de la récompense incertaine dans l’éducation
Apprendre tout au long de sa vie signifie fatalement étudier à un âge où les capacités cognitives ne sont plus aussi alertes que lors de la prime jeunesse. L’acquisition de savoirs peut alors s’avérer plus laborieuse. Heureusement, l’intelligence artificielle peut là encore fournir des solutions. L’objectif : s’inspirer de certaines découvertes de la psychologie et des neurosciences pour optimiser l’apprentissage.
Les travaux de Paul-Howard Jones, professeur en neurosciences à l’University of Bristol, suggèrent par exemple qu’un individu apprend mieux lorsqu’une récompense incertaine lui est annoncée. Autrement dit, lorsque l’accomplissement de différents objectifs peut lui conférer une récompense, mais que celle-ci n’est pas automatique. On pourrait ainsi très bien imaginer un apprentissage basé sur un jeu vidéo intégrant un système de récompense aléatoire pour stimuler l’individu. L’intelligence artificielle permettrait d’analyser quel est le niveau d’incertitude optimal pour chaque joueur, en fonction de la probabilité d’apparition de la récompense et de ses résultats…
Adopter le bon état d’esprit
Carol Dweck, de l’Université de Stanford, a quant à elle étudié l’importance de l’état d’esprit dans le processus d’apprentissage. Elle divise les individus en deux groupes. D’une part, ceux qui envisagent la réussite comme provenant principalement de capacités innées, ce qu’elle nomme théorie de l’intelligence fixe (« fixed mindset »). D’autre part, ceux qui valorisent davantage la place de l’acquis et de l’apprentissage, adoptant une théorie de l’intelligence incrémentale (« growth mindset »). Les individus adoptant la seconde vision apprennent selon elle mieux que les autres. Mais l’adoption d’un de ces deux états d’esprit n’est pas une fatalité : il est possible d’évoluer d’un « fixed mindset » vers un « growth mindset » afin de mieux apprendre.
L’équipe de Carol Dweck a ainsi développé Brainology, un logiciel qui permet notamment d’aider les individus à effectuer ce changement de conditionnement. Avec une couche d’intelligence artificielle, le système pourrait analyser comment le cerveau de chaque individu réagit aux exercices proposés. Il pourrait alors composer un programme d’apprentissage sur-mesure, s’adaptant à chaque cas particulier pour l’aider à adopter un « growth mindset ». Ainsi, en s’appuyant sur les neurosciences et la psychologie, l’intelligence artificielle pourrait redonner un coup de pouce aux individus âgés ayant davantage de difficultés pour apprendre et requérant de nouveaux stimuli.
Toute la virtualité du monde
Pour les individus devant se réorienter au cours de leur carrière, l’éducation sera également moins académique et plus pratique. Il faudra davantage acquérir des compétences utilisables dans le monde professionnel qu’un socle de culture générale, mission qui restera celle de l’enseignement traditionnel, dispensé lors des vertes années. Le développement de logiciels mêlant réalité virtuelle et intelligence artificielle apportera beaucoup aux individus souhaitant mettre rapidement en pratique des compétences acquises dans un nouveau domaine.
La réalité virtuelle permet à l’individu de connaître une expérience immersive, et de s’exercer dans un univers plus vrai que nature sans aucune conséquence en cas d’erreur ou d’échec. La capacité d’explorer, manipuler et tâtonner dans ce monde virtuel est, selon Gresalfi et Ingram-Goble, auteurs du livre « Transformational play : using games to position person, content and context », aussi, voire plus efficace que de s’exercer dans le monde réel. L’apport de l’intelligence artificielle permet d’améliorer le monde virtuel, lui donnant la capacité d’interagir avec l’utilisateur et de répondre à ses actions de manière naturelle. Elle peut également être employée pour guider le joueur, s’assurer qu’il ne perde pas de vue ses objectifs d’apprentissages et ne soit pas dépassé par l’afflux d’information.
L’union fait la force
Intelligence artificielle et robotique vont massivement prendre en charge les activités routinières et répétitives, mais les humains demeureront irremplaçables pour toutes les situations impliquant du contact social, de l’empathie et de l’échange. Les qualités humaines fondamentales seront donc plus que jamais nécessaires à acquérir. Là encore, l’intelligence artificielle peut aider, en facilitant l’apprentissage collaboratif et le travail en groupe. Ces pratiques rendent l’apprentissage plus rapide et améliorent les compétences sociales. Elles peuvent cependant être complexes à organiser et coordonner, notamment à distance.
L’intelligence artificielle pourra ainsi être utilisée pour former des groupes de travail homogènes. Elle sélectionnera à partir de différentes variables (connaissances complémentaires, objectifs d’apprentissage similaires…) des individus susceptibles de bien travailler ensemble. L’intelligence artificielle servira également de support interactif, offrant un point de vue d’expert en cas de blocage dans les délibérations collectives. Elle pourra aussi prendre la forme d’un étudiant virtuel, capable de lancer de nouvelles idées pour stimuler le travail collectif, ou encore de jouer le rôle d’un élève auquel les autres membres du groupe devront enseigner le savoir fraîchement acquis. Enfin, l’intelligence artificielle pourra offrir un compte rendu des séquences de travail collectives et donner des recommandations pour la suite.
Les possibilités d’application de l’intelligence artificielle à l’enseignement sont donc innombrables. Comme l’affirme Joel Mokyr, professeur d’histoire économique à la Northwestern University : « Je doute que nous puissions jamais nous dispenser de professeurs humains. Mais un professeur assisté de machines intelligentes se renseignant sur chaque étudiant, le comparant avec des millions d’autres et choisissant la meilleure approche pour son profil, ce serait encore mieux. L’intelligence artificielle n’est pas en compétition avec nous, elle nous complète, nous rend meilleurs, plus intelligents, mieux informés. Elle ne remplace pas les individus, elle les rend plus efficaces. Considérant à quel point l’éducation doit évoluer, cela vaut mieux ! »
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