Une enquête accablante menée par l’ONG Disclose révèle que la police française utilise secrètement le logiciel de reconnaissance faciale israélien Briefcam depuis de nombreuses années. La CNIL annonce une procédure de contrôle…
Officiellement, l’utilisation de logiciels de reconnaissance faciale par les autorités est strictement interdite en France. Toutefois, en réalité, il semblerait que la police s’autorise à contourner cette loi…
Une enquête publiée par l’ONG Disclose le 14 novembre 2023 révèle que « en 2015, les autorités françaises ont secrètement acquis un logiciel d’analyse d’image de vidéosurveillance auprès de l’entreprise israélienne Briefcam ».
Depuis lors, « pendant huit ans, le Ministère de l’Intérieur a dissimulé l’utilisation de cet outil, qui permet l’usage de la reconnaissance faciale ».
Selon le site officiel, ce logiciel permet en effet de « détecter, suivre, extraire, classifier et alerter sur les personnes d’intérêt apparaissant dans une vidéo de surveillance en temps réel ou forensiquement ».
L’usage illégal de Briefcam révélé par des mails en fuite
Les graves accusations portées par les journalistes d’investigation sont loin d’être infondées. Ils affirment avoir eu accès à des emails internes et des documents de la police nationale, constituant une preuve de l’utilisation illégale de Briefcam.
Si cette information est confirmée, il s’agirait d’une violation de la loi Informatique et Libertés mise à jour 2019 pour s’aligner avec le RGPD entré en vigueur en 2018 dans toute l’Union européenne.
Ces deux lois interdisent en effet « l’utilisation d’un système d’identification biométrique, le traitement de données biométriques, ou l’implémentation d’une technique de reconnaissance faciale ».
Toujours selon Disclose, le Ministère de l’Intérieur est parfaitement au courant que la police utilise ce logiciel israélien. Un cadre haut placé de la direction nationale de la sécurité publique (DNSP) aurait envoyé un email à ses supérieurs laissant peu de place au doute.
Le message souligne que « quel que soit le logiciel utilisé (en particulier Briefcam), il est interdit de se tourner vers un appareil de reconnaissance ou d’association faciale ».
De son côté, le directeur des ventes de Briefcam en Europe, Florian Leibovici, avoue que les commissariats de police de plus d’une centaine de villes françaises utilisent le logiciel.
La CNIL lance une procédure de contrôle, et envisage 4 scénarios
Suite à la publication de cette enquête, la CNIL a annoncé mercredi sur X le lancement d’une « procédure de contrôle » vis-à-vis du ministère de l’Intérieur.
Aux yeux du député vendéen Philippe Latombe, également membre de la CNIL, « les vraies questions à se poser sont : comment la reconnaissance faciale est effectuée et par qui ? ».
Il estime qu’il y a quatre façons de répondre à ces deux questions. La première possibilité est que la police utilise Briefcam « sans utiliser les outils biométriques et sous la supervision d’un juge ».
Dans ce cas de figure, il n’y aurait a priori pas de problème légal. Seconde hypothèse : la police utilise ces outils de reconnaissance faciale pour une recherche spécifique et sous la supervision d’un juge.
Là encore, même s’il manquerait une base légale, cela resterait acceptable d’une certaine façon en raison de la supervision d’une autorité judiciaire dans le contexte d’une enquête.
En revanche, si la police utilise les outils de reconnaissance faciale pour le scanning généralisé des visages sous supervision d’un juge, cela équivaudrait à une surveillance de masse interdite par la loi française et européenne.
Dans le pire des scénarios, la police s’adonne à ce scanning généralisé sans aucune supervision. Ce serait là une violation pure et simple des lois existantes.
Néanmoins, pour l’heure, en se basant sur les informations qui lui ont été fournies, Latombe estime que Briefcam a été utilisé pour des enquêtes a posteriori en utilisant des méthodes de recherche spécifiques comme la reconnaissance faciale.
Il ne s’agirait donc pas d’un scanning généralisé, et un juge semble avoir supervisé l’opération. La gravité de ces agissements reste donc relativement moindre…
Le dilemme cornélien de la reconnaissance faciale
Quoi qu’il en soit, l’utilisation de la reconnaissance faciale est un débat épineux. Faut-il privilégier la confidentialité et la protection de la vie privée, ou bien la sécurité nationale ? La question reste ouverte, tout particulièrement à l’heure où la menace terroriste atteint son paroxysme.
Dans le cadre des Jeux olympiques de Paris 2024, la loi française a été assouplie et des dispositifs de vidéosurveillance algorithmique vont être expérimentés sous supervision de la CNIL.
En avril 2023, le Parlement a adopté un texte de loi permettant d’utiliser des caméras et des drones pour repérer plus rapidement les « événements » potentiellement dangereux et les signaler aux équipes de sécurité.
Selon le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, cette décision est liée au besoin de sécuriser les millions de visiteurs de ce grand événement sportif d’envergure mondiale. Il promet aussi que la reconnaissance faciale ne sera pas utilisée.
Toutefois, plusieurs voix s’élèvent contre ce choix, notamment celles d’élus de gauche, d’associations comme Amnesty International et la Quadrature du Net. Pour en savoir plus, consultez notre dossier complet sur ce sujet !
Et vous, êtes-vous pour ou contre l’utilisation de la vidéosurveillance par reconnaissance faciale en France ?
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